Kosovo : les illusions perdues de l’indépendance et de la souveraineté
Par Augustin Palokaj
« Quelqu’un sait qui est Isa Mustafa ? » Un collègue journaliste pose la question à voix haute dans la salle de presse à Bruxelles, alors qu’a lieu la rencontre des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne. « Ce n’est pas Mustafa, mais Mustafi ! Quoi, tu ne sais pas ? C’est un joueur d’origine albanaise de l’équipe nationale allemande championne du monde », répond un autre. « Non, non, ce n’est pas un footballeur. Il y aurait un certain Isa Mustafa qui devrait rencontrer le Secrétaire général de l’OTAN demain... »
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On vient juste de recevoir le communiqué de l’OTAN. Nulle part, il n’est indiqué qui est cet Isa Mustafa, ce qu’il représente, et pourquoi il vient à l’OTAN. Juste : « Le Secrétaire général de l’OTAN va rencontrer Isa Mustafa ». Les médias n’en sauront pas plus. Quand j’explique qu’il s’agit du Premier ministre du Kosovo, les collègues journalistes me demandent pourquoi l’OTAN ne le dit pas. Je leur réponds que l’OTAN ne peut pas traiter le Kosovo comme un État. Tout le monde paraît étonné. « Ils ont libéré le Kosovo et maintenant ils ne veulent pas mentionner son Premier ministre ? », s’exclame un collègue étranger. Bizarre : l’OTAN publie un communiqué comme quoi son chef rencontre quelqu’un sans préciser qui.
Cet exemple illustre la position actuelle du Kosovo par rapport aux organisations internationales. Une position toujours non formalisée sept ans après l’indépendance. Au sein des institutions européennes, cela ne vaut guère mieux qu’à l’OTAN. Le Kosovo est toujours écrit suivi d’une astérisque (*), pour expliquer en note de bas de page que rien ne préjuge du point de vue des pays membres sur son statut. Dans les cartes de l’UE, le plus souvent, le Kosovo ne figure pas, et son territoire est présenté comme une partie intégrante de la Serbie, conformément à la Constitution serbe, même si 23 des 28 États membres ont reconnu son indépendance. Dans le communiqué de l’UE, il est dit qu’Isa Mustafa vient à Bruxelles, qu’il est Premier ministre, et qu’il va rencontrer le Premier ministre de la Serbie, Aleksandar Vučić.
Le dialogue « Pristina-Belgrade »
Le dialogue, ce n’est jamais entre « le Kosovo et la Serbie », mais toujours entre « Pristina et Belgrade ». Isa Mustafa a perdu les élections municipales à Pristina et Aleksander Vučić n’est pas le maire de Belgrade. Mais les noms des capitales sont indiqués pour éviter de parler du Kosovo qui, pour la Serbie comme pour l’UE, n’est pas un État souverain et indépendant. Ironie de l’histoire, le même jour, ce lundi 9 février, alors qu’Isa Mustafa entrait au siège de la Commission, le drapeau serbe était hissé en face du bâtiment. Le Premier ministre serbe succédait à son homologue kosovar. Pendant qu’Isa Mustafa saluait son hôte, le commissaire à la politique de voisinage et aux négociations d’élargissement, Johanes Hahn, il y avait deux drapeaux de l’UE : excepté le Parlement européen, les institutions de l’UE ne peuvent en effet afficher aucun symbole de l’État du Kosovo. Tout cela relève bien sûr de l’ordre symbolique. Mais cela en dit long sur le statut du Kosovo.
Cette année, au-delà des symboles, le Kosovo attend avec impatience de signer l’Accord de stabilisation et d’association (ASA) avec l’UE. D’ores et déjà, il est clair que cet accord ne sera pas comme ceux que l’UE a signé avec d’autres pays de la région. L’UE ne traite pas le Kosovo comme un État. Et cet accord, sans doutes important, n’ouvrira formellement aucune perspective d’intégration européenne.
« Un statut neutre »
Sept ans après sa proclamation d’indépendance, le Kosovo stagne dans une situation de statu-quo par rapport à l’UE et l’OTAN.
L’OTAN, qui a libéré le Kosovo, ne mentionne pas son nom quand il reçoit son Premier ministre, tandis que l’UE l’inclut dans ses cartes au sein de la Serbie. Avec le dialogue qui se déroule à Bruxelles, deux réalités ont vu le jour : le Kosovo ne fait pas partie de la Serbie, il a son propre territoire, même s’il n’est pas tout à fait reconnu au niveau international ; le gouvernement du Kosovo accepte que le pays n’est pas comme les autres et que pour chaque action, il faut un accord préalable de Belgrade.
L’UE et les institutions du Kosovo sont tombés dans le piège de « la neutralité du statut ». Tout accord, quel qu’il soit, minimise la souveraineté du Kosovo, son objectif fût-il d’œuvrer à la souveraineté de ce pays sur l’ensemble de son territoire. Depuis son investiture, le Premier ministre du Kosovo n’a fait qu’une seule visite à Bruxelles... pour rencontrer le Premier ministre de la Serbie. Belgrade est l’unique raison des invitations des dirigeants du Kosovo à Bruxelles. Même quand ils viennent seuls pour rencontrer les représentants de l’UE et de l’OTAN, il n’y est toujours question du « dialogue avec Belgrade ».
Durant ces sept dernière années, tant d’énergie et d’attention ont été données au dialogue avec la Serbie que les autres engagements de réformes économiques concrètes ont été délaissés. Aujourd’hui, le Kosovo jouit d’une demi-souveraineté, toujours inachevée.
« Pourquoi tant de citoyens fuient leur pays ? »
La vie des citoyens ne s’est pas améliorée et nombre d’entre eux fuient le pays. Aujourd’hui, outre le « dialogue », on ne parle du Kosovo que pour évoquer une exode massif de sa population, la montée de l’extrémisme religieux, le recrutement des jeunes en Syrie et en Irak, le crime organisé et la corruption au sein des institutions de l’État.
L’ancien Premier ministre Hashim Thaçi, en charge du portefeuille des Affaires étrangères, parle « d’exagération du nombre des migrants illégaux ». Mais les institutions européennes ont affirmé que le nombre de Kosovars ayant franchi clandestinement la frontière Schengen en décembre dernier représentait 40 % des passages illégaux, plus que les Afghans et les Syriens ensemble. Aux yeux d’Hashim Thaçi et de ses conseillers, ces chiffres ne sont peut-être pas dramatiques. Ils le sont assurément pour les gouvernements d’Allemagne, d’Autriche, de France, et de Hongrie, ainsi que pour la Commission européenne.
Mais il n’agit pas là non plus de la plus grande source d’inquiétude. En Europe, la question qui se pose est « pourquoi ». Pourquoi tant de Kosovars veulent-ils fuir leur pays ? Pourquoi ne comprennent-ils pas que leur demande d’asile sera presque systématiquement vouée à l’échec, et qu’ils rentreront au pays encore plus pauvres et dénués d’espoir...
Une illusion d’État
La « communauté internationale » ne fait qu’établir un constat. Mais leurs représentants continuent de travailler avec des structures politiques qu’eux-mêmes qualifient dans leurs rapports de corrompues et liées aux crime organisé. Les citoyens du Kosovo sont non seulement désespérés, mais ils ont aussi perdu toute confiance envers la communauté internationale. Ceux, comme la mission de l’Eulex, venus les aider à établir un État de droit et à lutter contre le crime organisé et la corruption au plus haut niveau politique ont eux-mêmes fait l’objet d’enquêtes pour corruption et ont été accusés de vouloir dissimuler ces scandales en violant les principes fondamentaux démocratiques, comme la liberté de la presse.
Eulex se bat actuellement pour sauver sa réputation. Si le Kosovo en est là aujourd’hui, la responsabilité en revient à son élite politique et à la communauté internationale. Des priorités ont été établies, comme la stabilité politique et la prévention des conflits interethniques, en sacrifiant toutes les autres priorités, comme le développement de la démocratie et la lutte contre la corruption. Les politiciens du Kosovo savent que s’ils font des compromis avec la Serbie, ils obtiendront des crédits au sein de la communauté internationale — une forme de protection contre la responsabilité de leurs échecs dans d’autres domaines.
Le Kosovo est reconnu par 110 pays du monde. Mais le processus s’est arrêté et l’avis de la Cour internationale de la justice n’a pas été exploité pour accroître le nombre de reconnaissances des pays de l’UE et de l’OTAN. En outre, on a renforcé l’opinion que cette situation était idéale. Du moins aux yeux des « facilitateurs » du dialogue à Bruxelles. Pour eux, ces non-reconnaissances ne sont pas des obstacles. Ce serait même une bonne situation pour l’UE, car cela lui permet de se présenter comme neutre à l’égard de la Serbie.
« Pour nous, le dialogue a débuté sur le principe de la neutralité de l’UE envers le statut du Kosovo et il en sera de même après la fin du dialogue », a déclaré à Bruxelles le ministre des Affaires étrangères de la Serbie, Ivica Dačić. Il est vrai que l’UE n’a pas demandé à la Serbie de changer d’opinion à ce sujet.
Le Kosovo nourrit l’illusion qu’il est un pays indépendant comme n’importe quel autre pays, et que le processus d’intégration euro-atlantique est à l’œuvre. L’UE et l’OTAN nourrissent l’illusion qu’elles peuvent réaliser tous leurs objectifs concernant le Kosovo sans avoir besoin de le traiter comme un pays indépendant. Et la Serbie nourrit l’illusion que le statut du Kosovo est inachevé, surtout s’il est prouvé que le Kosovo n’arrive pas à devenir un État fonctionnel et que la Serbie avance plus vite dans le processus d’intégration européenne. Tout cela est bien loin de ce qu’on espérait du Kosovo sept ans après la proclamation de son indépendance.