"Que fait l’Union européenne?", Delivet & Verluise
Par
, , le 20 octobre 2013, diplowebPhilippe Delivet est conseiller à la Direction de la législation et du contrôle du Sénat (Commission des affaires européennes), maître de conférences à Sciences Po Paris. Pierre Verluise est Directeur du Diploweb.com.
Alors que s’annonce une nouvelle élection pour le Parlement européen, il importe de faire le point sur ce que fait l’Union européenne, avec ses limites et ses contraintes.
Auteur d’un ouvrage remarqué sur Les politiques de l’Union européenne publié par la Documentation française, Philippe Delivet répond aux questions de Pierre Verluise, Directeur du Diploweb.com. Cet entretien aborde successivement l’apport de chaque traité communautaire, les moyens budgétaires, l’impact de la crise sur l’Union économique et monétaire, le déficit commercial systématique de l’UE, la réforme de la Politique agricole commune, la politique de recherche de l’UE, l’Europe sociale et la Politique de sécurité et de défense commune.
A l’approche des élections pour le Parlement européen, il semble utile de faire un point. Commençons par le début : du traité de Rome au traité de Lisbonne, quels sont les principaux apports de chaque traité communautaire ?
Les traités successifs ont permis de déployer le projet européen puis de l’approfondir. Le traité de Rome (1957) était centré sur l’ambition de réaliser le Marché commun. Avec l’Acte unique européen (1986), un tournant a été pris à la fois avec l’ambition de réaliser le marché intérieur et de développer de nouvelles politiques (comme la cohésion économique et sociale) mais aussi par une extension du vote à la majorité qualifiée qui permit de rendre le processus de décision plus efficace. Avec le traité de Maastricht (1992), les politiques européennes sont entrées dans une phase d’approfondissement. Le traité institua l’Union européenne et la citoyenneté européenne. Il lança l’union économique et monétaire (UEM) et introduisit des modifications institutionnelles significatives (par exemple en instaurant une procédure de codécision avec le Parlement européen dans certains domaines). Cet approfondissement fut poursuivi par les traités ultérieurs, parfois de façon chaotique comme en témoigne l’échec du traité constitutionnel (2005). Le traité d’Amsterdam (1997) permit des avancées en vue de la construction d’un espace de liberté, de sécurité et de justice. Il introduisit également des innovations institutionnelles importantes, comme la création d’un haut représentant pour la PESC ou encore un mécanisme permettant l’instauration de coopérations renforcées entre Etats volontaires. Adopté au prix de compromis complexes et d’âpres négociations, le traité de Nice (2001) chercha à préparer à la perspective de l’élargissement de 2004, notamment en prévoyant de plafonner la taille de la Commission. Enfin, le traité de Lisbonne (2007) a repris les innovations institutionnelles qui figuraient dans le traité constitutionnel. Il reconnaît la personnalité juridique de l’Union et un droit de retrait pour les Etats membres. Il établit une meilleure délimitation des compétences, renforce les pouvoirs du Parlement européen et reconnaît des compétences nouvelles aux parlements nationaux. Une initiative citoyenne est instaurée. La Charte des droits fondamentaux a désormais une force juridique obligatoire. Le traité prévoit une présidence stable du Conseil européen et définit de nouvelles règles de calcul de la majorité qualifiée dont le champ d’application est étendu. Le traité affirme de nouvelles ambitions pour les politiques européennes, par exemple en permettant le lancement de coopérations structurées permanentes en matière de défense.
Quels sont les moyens budgétaires que se donne l’UE pour atteindre ses objectifs ? Quel a été l’impact de la crise débutée en 2008 sur les négociations et la finalisation du budget 2014-2020 ? Quel est le pourcentage du Budget consacré à la PESC et à la PSDC ?
Ces moyens demeurent très faibles. Ils sont très en-deçà des ambitions de plus en plus fortes affirmées par les traités successifs. Le budget européen s’élève en 2013 à 150,9 milliards d’euros en crédits d’engagement, soit 1,13% du PIB de l’Union européenne et 132 milliards d’euros de crédits de paiement (soit 0,99% du PIB). Le budget européen est financé à hauteur de 85% par des recettes qui sont des ressources (TVA, RNB) issues des budgets des Etats membres. A l’inverse, les ressources propres effectives représentent une part très minoritaire dans le financement du budget européen. Cette situation méconnaît la lettre et l’esprit des traités qui ont au contraire voulu assurer un financement autonome du budget européen. La très forte dépendance du budget européen à l’égard des contributions nationales joue à l’encontre de son éventuelle progression. C’est encore plus le cas dans le contexte actuel où les budgets nationaux sont eux-mêmes soumis à des pressions très fortes. Cependant, la sous-exécution des dépenses, plus particulièrement pour la politique de cohésion, affecte la crédibilité d’une demande d’augmentation du budget. Pour le cadre financier 2014-2020, cinq pays (Allemagne, France, Pays-Bas, Royaume-Uni, Finlande) ont écrit à la Commission, en décembre 2010 afin de préconiser que les crédits n’augmentent pas davantage que l’inflation pendant la période couverte. En février 2013, le Conseil européen est parvenu à un accord sur le cadre financier pluriannuel qui fixe le plafond des dépenses pour les crédits d’engagement à 960 milliards d’euros, soit 1% du PIB européen (908 milliards pour les crédits de paiement, soit 0,95% du PIB).
En 2013, la rubrique « L’UE acteur mondial » du budget européen s’élève à 9,4 milliards d’euros, soit 6,4% du budget total. Ce volet finance principalement le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) en charge de l’action de l’Union pour les grands enjeux planétaires comme le changement climatique, la pauvreté, la lutte contre la drogue, la prévention et la gestion des crises et conflits armés. Les opérations ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense sont à la charge des États membres. Toutefois, le mécanisme Athéna, créé en 2004, permet d’assurer la couverture des coûts communs aux États membres pour les opérations militaires de la PSDC. Les opérations civiles de la PSDC sont en revanche financées dans leur intégralité par le budget PESC.
Philippe Delivet, auteur de "Les politiques européennes", La Documentation française, 2013
Comment la crise a-t-elle modifié la nature de l’UEM ? Peut-on parler d’un glissement d’un fédéralisme monétaire à un fédéralisme budgétaire, voire une gouvernance économique ? Sinon, pourquoi ?
Jusqu’à la crise des dettes souveraines, l’Union européenne était confrontée à une distorsion entre une politique monétaire unique, définie de façon indépendante par la BCE, et des politiques budgétaires multiples relevant de la compétence des Etats membres. En matière de conduite des politiques économiques et budgétaires, la situation était marquée par un échec des mécanismes de coordination et par une faible discipline budgétaire des Etats membres. La crise des dettes souveraines a eu un effet accélérateur sur le fonctionnement de l’UEM. Un mécanisme permanent de gestion de crise, le mécanisme européen de stabilité, a été instauré. La gouvernance économique a été profondément réformée. Adopté en novembre 2011, un paquet de six textes (Six Pack) a réformé le Pacte de stabilité et de croissance, tant dans son volet préventif que correctif. Il permet d’encadrer plus strictement les budgets nationaux, de coordonner plus étroitement les politiques économiques et de surveiller de façon plus crédible les déséquilibres budgétaires mais aussi macroéconomiques. La procédure du semestre européen, appliquée pour la première fois en 2011, a pour objet d’évaluer le budget national annuel pour assurer une coordination des politiques économiques des Etats membres et une convergence des performances économiques. Deux règlements (Two-Pack), entrés en vigueur en mai 2013, ont établi une surveillance renforcée de la zone euro. En outre, le traité intergouvernemental sur la stabilité budgétaire, la coordination et la gouvernance, signé en mars 2012, a répondu à la volonté des Chefs d’Etat ou de gouvernement (hormis le Royaume-Uni) de compléter l’architecture de l’UEM par un « pacte budgétaire ». Il fixe, en particulier, la règle (dite « règle d’or ») selon laquelle la position budgétaire des administrations publiques doit être équilibrée ou excédentaire. Il formalise par ailleurs davantage la gouvernance de la zone euro. Tout cela prouve que la crise a, comme souvent dans l’histoire de la construction européenne, encouragé l’adoption de réformes profondes. Comme il était indispensable, le fédéralisme monétaire a été complété par des mécanismes crédibles d’encadrement des budgets nationaux et de coordination des politiques économiques. C’est néanmoins à l’épreuve des faits que leur efficacité devra être évaluée plus précisément. En outre, l’union bancaire devra être parachevée, ce qui passe par la mise en place d’un mécanisme de résolution des crises bancaires. Le renforcement de la convergence devrait par ailleurs conduire, à terme, à la mise en place d’une capacité budgétaire de la zone euro destinée à faciliter l’ajustement aux chocs économiques (mécanisme de type « assurance » entre pays de la zone euro).
L’Union européenne est la première puissance commerciale mondiale. Sous l’effet du ralentissement économique et de la faiblesse de la demande intérieure, le déficit commercial de l’Union s’est réduit. L’Union résiste bien dans des secteurs comme la chimie ou les machines. Elle est le leader mondial pour l’échange de services. Mais l’Union demeure très dépendante pour les matières premières et les combustibles. Elle doit par ailleurs affronter le nouveau contexte du commerce international né de la mondialisation. Elle enregistre des résultats très bons surtout dans les segments haut de gamme du marché. Ses exportations sont solides dans les pays industrialisés mais moins efficaces sur les marchés à croissance rapide comme l’Asie. Le défi de la compétitivité est donc majeur. Il implique en particulier un effort soutenu dans la recherche et l’innovation. A travers sa politique commerciale, l’Union européenne s’est clairement positionnée en faveur d’un développement du commerce international. Elle a longtemps privilégié l’approche multilatérale, notamment en appuyant la création de l’OMC en 1995. Face au risque d’enlisement du cycle de négociations de Doha (ouvert en 2001 et suspendu en 2006), elle a décidé de donner une place plus importante à la négociation bilatérale. Dans ce contexte, l’Union a très largement ouvert ses marchés aux produits venus de pays tiers. Sous l’effet des négociations commerciales, la préférence communautaire qui s’exprimait à travers le tarif extérieur commun s’est progressivement affaiblie. Mais inversement les entreprises européennes exportatrices ont bénéficié du démantèlement des protections tarifaires des pays tiers. Reste que l’Union doit relever le défi de la réciprocité. Elle ne peut admettre d’ouvrir très largement son marché si, dans le même temps, des pays tiers conservent ou rétablissent de façon manifeste ou subreptice des barrières à l’entrée des produits européens.
Pour quelles raisons est-il une énième fois question de réformer la PAC ?
A travers ses réformes successives, la PAC a su faire la preuve de sa capacité d’adaptation aux exigences résultant des négociations commerciales internationales mais aussi pour prendre en compte de nouveaux enjeux. La nouvelle réforme répond à la nécessité de relever plusieurs défis. D’abord un défi budgétaire : en dépit de sa moindre importance, la PAC reste le premier poste du budget européen (56 milliards d’euros en 2010) ; l’accord du Conseil européen de février 2013 a prévu une baisse sensible de la dotation (-48 milliards) pour la programmation 2014-2020. Ensuite, la sécurité alimentaire demeure un objectif essentiel qui répond à une forte attente des consommateurs. La protection de l’environnement est un enjeu clé auquel l’agriculture peut apporter un soutien appréciable. Avec la nouvelle réforme, 30% du total des aides directes et des fonds pour le développement durable devront respecter des mesures en faveur du climat et de l’environnement. La PAC doit aussi répondre à un enjeu social en contribuant à la cohésion territoriale. Enfin, la PAC doit être plus simple pour être mieux comprise. Un régime simplifié sera appliqué pour les petits exploitants.
La politique de recherche de l’UE n’est-elle pas un échec puisqu’elle prévoit pour 2020 des objectifs qui avaient été annoncés en 2000 pour ... 2010 ?
En dépit d’une progression au cours du septième PCRDT (2007-2013), les investissements de l’Union européenne demeurent en deçà de ceux de ses principaux concurrents (2% du PIB en 2009 contre 2,9% eaux Etats-Unis et 3,36% au Japon). Le niveau de recherche de l’Union est parmi les meilleurs du monde. Mais la recherche européenne n’est pas suffisamment mise au service de l’économie. L’espace européen de la recherche est encore trop fragmenté. Trop de projets sont financés dans les Etats membres avec un fort risque de double emploi. Les financements européens sont faibles et dispersés entre différents projets. Les synergies entre la recherche civile et la recherche militaire sont insuffisants. L’objectif de 3% du PIB affirmé dans le cadre de « Horizon 2020 » n’est en effet que la reprise de l’objectif déjà affirmé par la stratégie de Lisbonne…et qui n’a jamais été atteint. Mais la Commission européenne propose désormais d’associer la recherche et l’innovation (qui correspond la fois à la transformation technologique et à la mise en œuvre industrielle) au sein d’un même programme-cadre. Trois grandes priorités seraient retenues : renforcer l’excellence scientifique européenne, notamment en assurant la promotion de technologies radicalement nouvelles ; assurer la primauté industrielle de l’Union européenne dans le monde, en intégrant dans le programme-cadre les politiques d’innovation ; une nouvelle approche pour l’orientation des subventions qui seraient dirigées non plus vers des secteurs de recherche déterminés mais sur les grands défis sociétaux auxquels l’Europe est confrontée et dont l’ampleur est telle qu’aucun Etat membre ne peut y répondre seul.
L’augmentation du chômage dans l’UE a-t-elle eu pour conséquence une avancée de l’Europe sociale ?
La politique sociale est souvent perçue comme le « maillon faible » des politiques européennes. La règle de l’unanimité, pour une part de cette politique, rend plus improbable la définition d’objectifs ambitieux. Toutefois, en avril 2012, la Commission a présenté un « paquet pour l’emploi » qui formule une série de recommandations à destination des États membres pour favoriser l’emploi. Dans ce cadre, la Commission a repris l’idée de salaires minimaux, différenciés par secteurs et négociés entre les partenaires sociaux. En décembre 2012, elle a proposé une série de mesures pour aider les États membres à lutter contre les niveaux très élevés de chômage (plus de 50 % dans certains pays) et d’exclusion des jeunes. Un projet de recommandation établissant une garantie pour la jeunesse invite chaque Etat à offrir, dès 2014, une offre de qualité à tous les jeunes de moins de 25 ans sans emploi ou sans formation. En février 2013, le Conseil européen a décidé de créer un Fonds d’aide à l’emploi des jeunes, doté de 6 milliards d’euros pour la période 2014- 2020, qui bénéficiera aux régions dont le taux de chômage des jeunes est supérieur à 25 %. Ce montant a été porté à 8 milliards d’euros lors du Conseil européen de juin 2013, qui a retenu une approche globale pour lutter contre le chômage des jeunes. Le Conseil européen souhaite aussi renforcer la dimension sociale de l’union économique et monétaire. Il s’agirait, dans un premier temps, d’avoir un meilleur suivi par le recours à des indicateurs appropriés en matière sociale et d’emploi. Une meilleure coordination des politiques sociales et de l’emploi devrait aussi être assurée, tout en respectant les compétences nationales. Les partenaires sociaux et le dialogue social, y compris au niveau national, devraient également jouer un rôle essentiel.
La PSDC n’est-elle pas une victime collatérale de la crise économique ?
L’effort budgétaire des États membres en matière de défense demeure insuffisant et très hétérogène : la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne représentent plus de la moitié de l’effort de défense total ; la France et le Royaume-Uni concentrent 40 % de l’effort de défense des Vingt-Sept. Cette situation n’est pas nouvelle. Mais il est vrai que le contexte de crise économique et budgétaire pèse aussi sur le montant des budgets de défense européens. En décembre 2012, le Conseil européen a néanmoins souligné que « l’Union européenne est appelée à assumer des responsabilités accrues en matière de maintien de la paix et de sécurité internationales, afin de garantir la sécurité de ses citoyens et la promotion de ses intérêts ». Il a donc affirmé sa détermination à renforcer l’efficacité de la PSDC. Il a insisté, en particulier, sur le fait que « les États membres doivent être prêts à fournir des capacités tournées vers l’avenir, à la fois dans le domaine civil et dans le domaine de la défense ». Dans un contexte de contraintes financières, il y a aussi une nécessité urgente de renforcer la coopération européenne « afin de développer les capacités militaires et de combler les lacunes critiques, y compris celles recensées lors d’opérations récentes ». Le Conseil européen a aussi mis en exergue le besoin de renforcer l’industrie européenne de la défense, « en développant une base industrielle et technologique de défense européenne qui soit plus intégrée, plus durable, plus innovante et plus compétitive ». Cela passe aussi, selon le Conseil européen, par des « synergies accrues entre les aspects civils et militaires de la recherche et du développement ». Il reste à traduire ces orientations dans les faits…
Copyright Octobre 2013-Delivet-Verluise
Plus
. Philippe Delivet, Les politiques de l’Union européenne, Paris, La Documentation française, coll. Réflexe Europe – Institutions & Politiques, 2013.
4e de couverture
L’Union européenne est souvent perçue comme une entité politique assez éloignée des préoccupations quotidiennes des citoyens. Pourtant, elle conçoit et met en œuvre de nombreuses actions publiques, dans le cadre de stratégies cohérentes et coordonnées. Ces actions ont un impact direct sur l’agenda politique des États membres et, au bout du compte, sur la vie de tous les jours.
Mais qu’en sait le citoyen ordinaire, au-delà des politiques les plus connues comme la politique agricole commune ? Peu de choses en définitive.
Les politiques de l’Union européenne n’ont cessé de se développer ces dernières décennies, sous le regard parfois inquiet d’États membres toujours solidement attachés à leur souveraineté. D’abord déployées dans le domaine économique (intégration économique et monétaire, marché unique, politiques sectorielles), elles ont revêtu de nouvelles dimensions (judiciaire et pénale, sociale et environnementale, culturelle).
Avec un réel travail de pédagogie et de synthèse, l’auteur de cet ouvrage brosse un paysage complet, actualisé et accessible des différentes politiques mises en place au niveau de l’Union. Pour chacune d’elles, il veille en particulier à souligner son évolution dans le temps, son mode de prise de décision, ses principales réalisations et ses perspectives à moyen terme. L’ouvrage de Philippe Delivet constitue ainsi un outil de compréhension efficace et actualisé.
Philippe Delivet est conseiller à la Direction de la législation et du contrôle du Sénat (Commission des affaires européennes), maître de conférences à Sciences Po Paris et chargé de cours sur les questions européennes à l’université Panthéon Assas Paris II et au CELSA Paris-Sorbonne.
. Voir le livre de P. Delivet sur le site de La Documentation française