"UE-Hongrie V. Orban: vers la rupture?", Pierre Verluise
http://www.diploweb.com/UE-Hongrie-V-Orban-vers-la-rupture.html
Par
*, le 2 décembre 2012, diplowebDirecteur du Diploweb.com. Directeur de recherche à l’IRIS. P. Verluise enseigne la Géographie politique à la Sorbonne, au Magistère de relations internationales et action à l’étranger de l’Université Paris I. Il a fondé le séminaire géopolitique de l’Europe à l’Ecole de guerre. Distinguished Professor de Géopolitique à GEM. Pierre Verluise publie en janvier 2013 Géopolitique des frontières européennes. Elargir, jusqu’où ?, Paris, Editions Argos, Diffusion PUF, 20 cartes en couleur.
Pour profiter de la nouvelle maquette du Diploweb il peut être nécessaire de vider le cache de votre navigateur (Ctrl + F5).
Géopolitique de l’Union européenne. Voici le deuxième volet d’une étude de Pierre Verluise sur la Hongrie de Victor Orban. Autour de la problématique de la rupture, il présente successivement la situation économique, le contexte politique et les relations avec l’Union européenne.
LES partisans du régime prétendent volontiers que la Hongrie de Victor Orban reste victime d’une incompréhension injuste. Ils regrettent des malentendus de vocabulaire et une diabolisation blessante. « Les concepts de liberté et de dictature n’ont pas le même sens en France et en Hongrie. Pour les Hongrois, l’incarnation de la dictature a pour nom communisme et non pas nazisme. » Ils ajoutent volontiers : « Nous sommes mal compris, nous allons nous expliquer et cela devrait lever vos inquiétudes. À l’avenir, nous communiquerons davantage. Nous sommes toujours ouverts à la discussion. »
La Hongrie a un gouvernement légitime et une apparence démocratique, mais il ne s’agit plus d’une démocratie à l’occidentale parce que depuis son accession au pouvoir en 2010, V. Orban a cherché à réduire le plus possible les contre-pouvoirs : presse, justice, entreprises étrangères. La logique induite dans l’allongement de la durée des nominations à des postes clés consiste à s’abstraire du principe démocratique induit par le rythme de l’alternance politique, tous les quatre ans. En portant ses affidés à des postes clés pour 6, 9 ou 12 ans V. Orban construit un pont au-dessus d’une éventuelle alternance.
Pour autant, V. Orban n’est pas encore un dictateur. S’il avait voulu le devenir, la situation s’y prêtait. Rien ne permet d’affirmer qu’il le deviendra, ni même qu’il le souhaite. La Hongrie se trouve donc dans un entre deux difficile à déterminer mais elle est sortie de l’État de droit tel qu’il est conçu par les traités européens. Voilà un régime qui se cherche.
La Hongrie se rapproche de la démocrature. L’ensemble du système politique est pyramidal : tout remonte à V. Orban. Lui-même a d’ailleurs indiqué plusieurs fois que la démocratie parlementaire n’était pas nécessairement le meilleur régime pour prendre des décisions en temps de crise, allant jusqu’à indiquer que les Hongrois descendant de peuples asiatiques ne seraient pas nécessairement « faits » pour la démocratie. Ce qui témoigne de son goût pour la provocation.
Résultat, le pays se trouve relativement isolé, critiqué par les États-Unis, l’Union européenne et le Fonds monétaire international. Si les visites de Chinois, d’Azéris ou de ressortissants du Golfe se multiplient… de moins en moins de chefs d’États occidentaux ou européens viennent à Budapest. Cependant, l’entretien à Berlin de V. Orban avec A. Merkel, le 11 octobre 2012, a marqué les esprits. Après avoir été un des piliers de l’élargissement de 2004, la Hongrie est devenu un des derniers de la classe. Alors que la plupart des nouveaux États membres affichent en 2012 des prévisions de croissance économique très au-dessus de la moyenne de l’UE, la Hongrie se place en dessous. Le décalage entre les espoirs passés et les réalités présentes fait souffrir les Hongrois.
D’autant que le prestige et l’image de la Hongrie n’ont jamais été aussi bas. L’attitude de V. Orban qui consiste à prétendre s’appuyer sur une histoire millénaire pour construire l’avenir indépendamment du Fonds monétaire international ou de l’Union européenne conduit à une impasse. Où que ce soit, le passé n’apporte aucune garantie pour le futur.
Le gouvernement d’Orban met en œuvre un double langage. À l’intérieur, il développe à satiété le mythe de « la Hongrie millénaire » sur fond de rhétorique ethnocentriste, appelant à mener une « guerre de libération contre ceux qui veulent coloniser la Hongrie ». À l’extérieur, il a, dans un premier temps, développé un discours plus habile, feignant la bonne volonté, se plaignant d’être mal compris. Aujourd’hui, il n’hésite plus à attaquer frontalement l’Union européenne, en situation de crise, face à une Hongrie qui détiendrait la solution aux problèmes politiques et économiques de l’UE. Budapest souhaite se poser comme le modèle à suivre. L’objectif – finalement banal - de V. Orban serait de redonner du poids à la Hongrie, au moyen et au prix d’une rupture.
Nous chercherons donc à répondre à la problématique suivante : en quoi V. Orban incarne-t-il une volonté de rupture économique (I) et politique (II), au risque de le payer d’une dégradation de ses relations avec l’Union européenne (III) ?
V. Orban et J-M Barroso, 2012. Commission européenne
I. QUELLE RUPTURE ECONOMIQUE ?
Dans les années 1970, la Hongrie était présentée comme un pays de l’Est où la vie semblait heureuse par rapport aux autres satellites. Les Hongrois pensaient vivre dans « la baraque la plus gaie du camp socialiste. » La « révolution de palais » de 1989 a été plus un revirement opportuniste des élites qu’une rupture. Beaucoup de Hongrois ont crû que le chemin vers l’Union européenne serait facile et rapide. Budapest se pensait prête et a regretté de devoir attendre les Baltes et les Polonais. En 2004, beaucoup de Hongrois restaient favorables à l’adhésion à l’UE parce qu’ils avaient encore la mémoire de la période d’avant 1989. Beaucoup de Hongrois ont eu l’impression que leur adhésion a été éclipsée par celle d’autres pays, notamment la Pologne. Il en résulté une frustration. Alors que la Pologne poursuit son « rattrapage » à l’égard de l’UE, la Hongrie est à la peine [1]. L’homme de la rue constate que l’économie de marché se traduit par des magasins mieux remplis mais aussi par l’inflation, le chômage et les sans-abris. Cela le conduit à prendre ses distances avec les promesses de « la démocratie ».
La Hongrie se caractérise aujourd’hui par (A) une vie quotidienne difficile, (B) une politique économique incohérente et (C) le mélange des genres entre affaires et affairisme.
A. UNE VIE QUOTIDIENNE DIFFICILE
La principale préoccupation de la plupart des Hongrois n’est pas politique mais économique. Les libertés publiques et les relations de la Hongrie avec l’Union européenne ne sont pas des préoccupations de premier plan pour l’immense majorité, particulièrement en province où les média publics sont en situation de force. Ici une propagande de piètre qualité se déverse sans susciter beaucoup d’interrogations.
En effet, la vie quotidienne devient de plus en plus difficile dans l’ensemble du pays. Le salaire minima avoisine 400 euros et le salaire moyen approche 800 euros par mois. L’activité des usines automobiles allemandes n’a pas empêché la Hongrie d’entrer en récession en 2012 (PIB réel : -1,2% par rapport à 2011, Eurostat). La consommation intérieure reste faible, la construction vit une crise et les ventes immobilières sont atones. Le prix de l’essence devient prohibitif et beaucoup de Hongrois se trouvent contraints de ne plus utiliser leur automobile. Résultat, les temps de parcours dans la capitale tendent à diminuer… parce que le nombre de véhicules en circulation se réduit. Le Nord-Est de la Hongrie verrait même une multiplication des cas de malnutrition, notamment dans la région de Borsod. Certains enfants n’auraient d’autre repas que celui de la cantine scolaire. Malheureusement, de plus en plus de communes n’arrivent plus à payer leurs factures et se trouvent contraintes de ne plus servir de déjeuner dans les cantines. Cette malnutrition touche particulièrement la population Rom.
La crise économique fait des ravages, jusque dans les fleurons du pays. Ainsi, la compagnie aérienne nationale - Maalev - a ainsi été contrainte d’arrêter ses vols début février 2012. L’évènement déclencheur a officiellement été une demande de paiement d’une ardoise de Maalev par les autorités aéroportuaires israéliennes et irlandaises qui ont bloqué au sol deux avions de la compagnie. Devant la perspective que d’autres créanciers suivent cet exemple, Maalev a suspendu tous ses vols dans la journée. Et l’entreprise a déposé le bilan. La Maalev représentait 40% du trafic de l’aéroport de la capitale hongroise, Budapest. L’impact de sa faillite sur le tourisme international en Hongrie semble donc significatif. Certes, les compagnies lowcoast se sont rapidement enfournées dans la brèche, mais il faudra du temps pour revenir aux volumes antérieurs. V. Orban a naturellement reporté la faute sur les gouvernements socialistes précédents qui auraient monté le dossier Maalev – privatisée puis renationalisée – de façon frauduleuse.
Pour terminer ce rapide tour d’horizon, mentionnons qu’il vaut mieux ne pas avoir besoin de soins médicaux, contrairement aux apparences du tourisme médical qui se développe dans ce pays. En effet, la Hongrie est un des pays les moins bien classés de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) pour les principaux critères sociaux et sanitaires. Et sa position se dégrade d’année en année. Cela reste un des mystères de la Hongrie contemporaine. Comment un pays qui dispose d’un prélèvement fiscal aussi massif affiche-t-il des résultats sociaux aussi médiocres ? Le niveau de prestations sociales équivaut à un prélèvement de 35% alors qu’il se place à 46%. La Hongrie a la TVA la plus élevée du monde : 27%. Seule explication : les recettes publiques restent remarquablement mal utilisées, pénalisées par des pertes en ligne. L’administration se caractérise par une très faible efficacité : les fonctionnaires ont souvent gardé les méthodes du régime communiste : procédures innombrables, paperasse volumineuse, vocabulaire spécifique qui fait obstacle pour le citoyen. Le système médical public demeure ainsi une caricature de l’administration hongroise, un véritable cauchemar. Bakchich à tous les niveaux : infirmières, médecins, cantinières, chirurgiens… Pour compenser des salaires de misères, ils se paient tous sur « la bête », à savoir le patient qui sort de là choqué mais souvent aussi compréhensif devant des médecins publics contraints pour une grande partie d’entre eux de travailler également à l’étranger pendant les week-ends pour survivre. Il faut donc arroser tout le monde pour recevoir des soins de la qualité de ceux dispensés en France dans les années 1960. Le plus étrange : les Hongrois ne se rebellent pas, ils sont soumis. Le patient n’est pas au centre du système de soin hongrois mais à la marge. Il y aurait là un beau terrain de réforme pour V. Orban… ou un autre. En attendant, une large partie du corps médical et paramédical hongrois quitte le pays. On évalue à un tiers la proportion de la promotion médicale annuelle qui quitte la Hongrie pour s’installer à l’étranger.
Peut-être s’inquiètent-ils de la politique économique « originale » du Premier ministre.
B. UNE POLITIQUE ECONOMIQUE INCOHERENTE
Le gouvernement prétend mettre en œuvre une politique économique gage de réussite que les autres pays imiteront bientôt. Il a notamment multiplié les taxes spéciales dans des secteurs où les étrangers sont présents : banque, télécom, commerce en gros et énergie. Le produit de ces taxes a été utilisé pour combler le déficit budgétaire. Il en a résulté un climat d’incertitude qui a réduit la confiance des investisseurs étrangers. L’absence de concertation, un environnement juridique instable, le flou sur les perspectives… tout cela décourage les investisseurs. Ils s’inquiètent notamment de la rétro-activité de certaines lois, ce qui ne semble pas conforme aux principes de sécurité juridique. Quand on se souvient de quelle façon la Hongrie a été privilégiée par les investissements directs étrangers durant les premières années de la transition [2], la potion semble particulièrement amère.
Les perspectives économiques sont inquiétantes. Le gouvernement a fait semblant de respecter en 2011 la limite des 3% de déficit public, mais c’est au prix de la captation de l’épargne privée et de la taxation des entreprises étrangères. La nationalisation des fonds de retraites privés à été utilisée pour boucler le budget 2011, mais personne ne sait comment l’État fera face à toutes ses dépenses en 2012 et 2013. En 2012, le déficit public atteint en réalité 6% si on retire l’argent des retraites que le gouvernement s’est engagé à rembourser.
Un économiste admet : « On ne voit pas comment le gouvernement construit les bases d’une croissance économique durable. Il met en place une politique économique à court terme qui ne mène à rien. » Une flat tax de 16% a été crée pour boucher les trous du budget. On a même inventé une taxe sur les chiens domestiques, sauf ceux de race hongroise. « Le nationalisme se glisse partout », note un observateur.
Fin 2012, on remarque que le gouvernement n’a pas encore lancé le train de réformes structurelles.
Fin 2011 – début 2012 la monnaie nationale, le forint, a vu sa valeur s’effondrer sur les marchés. Il fallait 320 forints pour acheter un euro. Courant février 2012, la situation s’est redressée puisque 290 forints permettaient d’acheter un euro.
Les autorités hongroises tentent de remettre la main sur les contrats publics précédemment cédés aux compagnies étrangères. La société française Suez s’est ainsi retrouvée éjectée du jour au lendemain de la gestion de l’eau de la ville de Pecs. En 2012, c’est le contrat de Suez pour la gestion de l’eau à Budapest qui a été rompu, avec des négociations laborieuses. Ces actions semblent plus idéologiques – voire nationalistes - qu’économiques parce que personne ne voit quels moyens financiers les Hongrois vont mettre sur ces affaires. En outre, le contentieux juridique risque de coûter cher à l’État hongrois. Quoi qu’il en soit, cela donne l’impression que les grands domaines d’activités économiques doivent revenir dans des mains hongroises, même sans ressource pour les valoriser.
Dans ce contexte, les investisseurs étrangers – autrefois très présents – s’installent dans une stratégie d’évitement de la Hongrie. Ceux qui souhaitent investir en Europe centrale privilégient la Pologne et la République tchèque. Les investisseurs et les marchés financiers sont stressés par l’incertitude hongroise et attendent l’accord du FMI et de l’UE.
Le problème majeur de la Hongrie reste le manque de confiance. Désorientée, la population hongroise s’est pour partie accrochée un temps à l’idée d’un homme providentiel, ce qui témoigne d’un manque de confiance dans l’avenir. Beaucoup s’inquiètent de manière quasi-existentielle à propos de la viabilité de la Hongrie dans le monde de demain. Cette inquiétude est accentuée par l’échec relatif de la transition puisque la Hongrie, partie avec beaucoup d’atouts, s’affiche désormais comme une des économies les moins performantes de la région. Partie avec l’idée qu’elle était la meilleure, la Hongrie se voit dépassée par ses voisins dont beaucoup traversent la crise non seulement mieux que la Hongrie mais aussi que la moyenne des pays de l’UE. Budapest présente presque les moins bons résultats des pays de la transition, talonnée par la Roumanie et la Bulgarie entrées trois ans plus tard. Les Hongrois ont l’impression d’avoir « loupé » une occasion que ne se représentera pas de sitôt.
La Hongrie souffre aussi d’un déficit de confiance externe. En cherchant à redonner confiance aux Hongrois en interne, V. Orban prend des postures et des décisions qui retirent de la confiance aux acteurs externes. Terrible jeu de vases communicants.
Le risque est de perdre sur les deux plans. En interne, les Hongrois ne reprennent pas véritablement confiance en eux. À l’externe, les marchés restent réticents. Il est vrai que la crise de la dette extérieure, libellée en devises, dépend chaque jour d’un financement sur les marchés. Pour autant, la Hongrie se refinance à moyen terme sur les marchés sans avoir besoin du FMI.
Certes, la situation économique de la Hongrie n’a pas le caractère de gravité extrême de la Grèce ou du Portugal. Il existe cependant un problème de croissance économique. La récession hongroise s’explique par des insuffisances en matière de compétitivité, d’organisation du management public, d’allocation de l’épargne. Le manque de confiance des investisseurs hongrois se voit à leur comportement : à la moindre alerte ils déplacent leur argent à Vienne (Autriche) ou dans les îles Caïmans. Seules les exportations, et notamment d’automobiles allemandes, constituent un moteur (de plus en plus faible) de croissance hongroise ; la révision à la baisse des chiffres ayant servi de base à la préparation du budget 2013 montre que le gouvernement a bien été contraint de reconnaître l’incohérence de ses prévisions.
Le recours à l’UE et au FMI est paradoxalement le prix à payer pour un discours non orthodoxe. Ce discours est non orthodoxe pour des raisons internes, mais le prix à payer est externe, via des difficultés de financement à court terme, du fait de la baisse de la valeur de la monnaie hongroise (forint) et de la hausse des taux d’intérêt. Dans un sens, les marchés tiennent la Hongrie. Cela a été évident fin 2011-début 2012 lorsque les marchés se sont mis à douter de la capacité de la Hongrie à nouer un accord avec l’UE et le FMI. Il en a résulté un effondrement immédiat du forint. Une nouvelle crise de confiance pourrait être catastrophique.
Pendant ce temps, l’affairisme se poursuit.
C. AFFAIRES ET AFFAIRISME
V. Orban a des côtés apprenti sorcier qui croît avoir trouvé la martingale économique. Il oppose les pays de l’Ouest à un nouveau modèle européen qui doit sortir de la social-démocratie keynésienne en devenant plus performant par des recettes thatchériennes. Il se méfie du marché dominé par des intérêts non hongrois.
Le système de financement de la vie politique demeure insatisfaisant parce qu’il conduit les partis à se rapprocher de grandes entreprises, voire de réseaux criminels. Les partis politiques fonctionnent avec des caisses noires. Dans les municipalités, les appels d’offres sont donnés aux amis : entreprises du bâtiment et travaux publics (BTP), grands propriétaires terriens… qui ont financé la campagne électorale. Par ailleurs, les fonds de l’Union européenne aiguisent les appétits. Ainsi, l’épouse du Premier ministre aurait accaparé une part des fonds européens destinés à la viticulture.
Beaucoup de Hongrois pensent que cela ne peut pas continuer ainsi.
Il faut admettre que les cercles d’affaires qui ont financé les campagnes électorales de V. Orban de 2002 et 2006 ont longtemps été en position de force une fois qu’il a été réélu en 2010. Dans le domaine des travaux publics, beaucoup de marchés sont gagnés par la société Közgep. Celle-ci verserait en retour des commissions à la famille de V. Orban. Les caisses de l’État étant vides, il y aurait en 2012 des tensions entre ces cercles d’affaires et le Premier ministre quant au montant des appels d’offre. Il devient difficile de financer des projets d’envergure. Le crime organisé disposerait de son propre service de renseignement. En février 2012, un fonctionnaire a été contraint de démissionner du ministère de l’Agriculture à cause de liens supposés avec des structures mafieuses.
En 18 mois, le Parlement a adopté - le plus souvent à la hussarde près de 300 lois - mais pas une seule n’aborde la réglementation du lobbying des entreprises à l’égard du monde politique. [3] Des discussions ont été mises en place par l’organisation non gouvernementale Transparency International avec les différents partis politiques pour élaborer un texte absent pour l’instant sur le financement de la vie politique. Suite aux refus du Fidesz de coopérer, TI a rompu publiquement les discussions sur le sujet le 31 mai 2012. Nous sommes ici dans la zone grise où des experts supposent des interventions du monde des affaires… sans pouvoir le prouver. La presse se trouve parfois instrumentée pour empêcher, faire passer ou modifier des projets de lois. Ainsi, la preuve existe que le texte du projet de loi sur le commerce du tabac a été conçu sur l’ordinateur d’une personne qui travaille dans la plus grosse entreprise de commercialisation du tabac, puis acheminé via courriel au député en charge de la défendre.
V. Orban est entouré d’un cercle d’hommes d’affaires. Les postes clés sont répartis entre des amis de vingt ans et les conflits d’intérêt sont légion. En fait, le Fidesz est à la fois une entreprise politique et économique.
Comment mettre en perspective la rupture politique qu’il entend mettre en œuvre ?
II. QUELLE RUPTURE POLITIQUE ?
« En cas de danger, la Hongrie se comporte comme un hérisson qui se met en mode survie, tous piquants dehors, avec pour seul objectif de sauvegarder l’identité hongroise de l’extérieur », explique une observatrice installée dans le pays depuis quelques années.
Considérons (A) les tensions à l’œuvre, (B) les décisions politiques prises par le gouvernement Orban et (C) les perspectives de l’opposition
A. LES TENSIONS A L’ŒUVRE
Le Premier ministre invente ce qu’il veut avec un petit cercle. Très rapidement, leur décision se trouve transformée en projet de loi, adoptée puis promulguée. Il n’y a plus d’institutions pour discuter, évaluer, contrôler. Les contre pouvoirs ont été affaiblis les uns après les autres.
La fin de l’année 2011 a été marquée par une forme d’accélération. En novembre et décembre 2011, près de 60 lois ont été adoptées au Parlement. Le parti vert libéral (LMP) a fait une manifestation le 23 décembre 2011. Certains manifestants se sont enchaînés aux grilles du Parlement pour dénoncer la situation politique et l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, le 1er janvier 2012. Appelée désormais Loi fondamentale, celle-ci ne reflète pas un consensus parce qu’elle ne résulte pas d’un processus de large consultation. Elle a été notamment inspirée par un petit parti catholique qui lui donne un esprit clérical. La Loi fondamentale fait de nombreuses références obsolètes à l’histoire de la Hongrie, références qui sont devenues légion dans le discours politique gouvernemental.
Le 2 janvier 2012, une nouvelle manifestation a été organisée par l’opposition. Environ 70 000 personnes se sont rassemblées mais l’audiovisuel public n’en a pratiquement pas parlé. La télévision a montré une avenue vide avec quelques manifestants d’extrême droite faisant des provocations, ce qui revenait à jeter le discrédit sur la manifestation. Peu après, un ministre a déclaré que le gouvernement pouvait rassembler dix fois plus de personnes que l’opposition. Finalement, des radicaux ont fait venir 150 000 personnes sur le thème de La Paix, comme à l’époque soviétique. Alors que la police ne donne généralement pas d’estimation, elle a fait savoir cette fois que 400 000 manifestants avaient répondu à l’appel du gouvernement. En fait, une partie de la mobilisation a été organisée par des entreprises proches du gouvernement en affrétant des cars et des trains spéciaux. Dans la masse se trouvaient cette fois des militants d’extrême droite et des antisémites. Ils défendaient une politique que V. Orban se trouve contraint de modifier sous la pression du Fonds monétaire international et de l’Union européenne.
V. Orban se comporte volontiers en conquérant, diabolisant l’adversaire, mais ce n’est pas un gestionnaire. Il s’est entouré de béni-oui-oui qu’il éjecte lorsqu’il leur vient l’audace de le contester. Il évite les conférences de presse avec des journalistes critiques et refuse le plus souvent d’accorder des interviews aux média indépendants.
La Hongrie d’Orban se comporte de façon étrange : plus elle dépend des autres plus elle les déteste. La haine des autres exprime une certaine haine de soi, parfois consciente, souvent surréaliste, voire pathétique. Le discours d’Orban est fondé sur la rupture, parce que la Hongrie n’a pas réussi sa transition. Même ses opposants admettent parfois qu’il faut changer le régime. Les partisans du gouvernement avancent que les réformes en cours n’incarnent nullement un retour vers le passé mais une volonté de rupture après deux décennies de transition peu satisfaisante. Plus de vingt ans après la chute du Rideau de fer, le but de V. Orban serait de trouver enfin le chemin d’une sortie du communisme. Voici plus de vingt ans, la « révolution » de palais qui a conduit fin 1989 au changement de régime s’est fait sans révolution, donc sans catharsis ni véritable rupture. La transition qui a suivi est une suite d’occasions manquées, de réformes reportées à plus tard et d’affaires de corruption sous couvert de privatisation. V. Orban prétend marquer une rupture et remettre la Hongrie sur ses pieds. C’est pourquoi il donne un nouveau visage aux rues, en changeant les noms. Il entend redonner des fondations à la fierté hongroise. Son côté borné ne retire rien à la justesse de certains diagnostics, par exemple qu’il faut surpasser la défaite pour reprendre en main le destin.
La Hongrie d’aujourd’hui fait preuve d’une incapacité manifeste à se projeter dans l’avenir. Qui parle de la stratégie pour construire la Hongrie de 2030 ? Le débat public reste obnubilé par la question clé : comment en finir avec le passé ? Ce qui renvoie à des problématiques gérées par d’autres pays d’Europe centrale dès le milieu des années 1990. Par exemple, la liste des agents de renseignement de la police politique a été publiée en Tchécoslovaquie dès 1992. Depuis, l’affaire a été digérée et appartient au passé. On peut d’ailleurs se demander pourquoi V. Orban n’a pas encore publié la liste des agents de la police politique. Serait-ce parce que des acteurs du Fidesz seraient concernés ?
Huit ans après l’adhésion, l’UE reste souvent vécue comme une grande puissance qui veut étouffer la Hongrie, comme par le passé les Ottomans, les Autrichiens, les Soviétiques… Pourtant, les Hongrois n’auraient pas admis de rester à la porte de l’UE.
Finalement, l’adhésion à l’UE reste récente, ce qui participe de sa fragilité. Rien n’est inné ni même encore acquis. La période communiste est diabolisée comme forme politique mais cela cohabite avec une forme de nostalgie du « communisme du goulash », du nom d’un plat de viande de bœuf au paprika emblématique de la cuisine hongroise. Le Fidesz ne manque jamais de rappeler que le Parti socialiste actuel (MSZP) est le successeur du Parti communiste d’antan. Et qu’en conséquence il porte la responsabilité de l’écrasement de la révolution de 1956. Formulation qui témoigne de la volonté de traduire en justice les donneurs d’ordre de l’époque et de rendre le MSZP juridiquement responsable des actes du Parti communiste.
La relation à la période antérieure à 1989 demeure ambivalente. Les classes moyennes et supérieures disposent maintenant d’un meilleur niveau de vie, mais le plus grand nombre a plus de difficultés qu’à l’époque socialiste. Résultat, le temps passant, une large partie des Hongrois vit dans la nostalgie de la période socialiste.
Il en résulte cependant une dégradation des relations avec la Commission européenne.
Le poste de médiateur des média (ombudsman), investi par le Parlement, a été supprimé par la nouvelle loi des média, fin 2010. Désormais, une institution gouvernementale examine la pratique de l’information. Des fonctionnaires choisis par le gouvernement jugent donc du travail des journalistes.
Suite aux pressions de l’Union européenne, une partie de la loi sur les média a été invalidée. V. Orban a déjà concédé des modifications sur des détails techniques, mais il a gagné la bataille politique intérieure dans sa présentation des négociations avec l’UE. Le gouvernement a été contraint de faire de nouveaux amendements de la loi sur les média pour le 31 mai 2012. Si les modifications n’ont pas satisfait complètement la Commission de Venise notamment, le plus grave dans cette loi est son existence même.
Pour autant, le plus grand obstacle à la liberté de l’information reste comportemental : dans cette ambiance singulière, les fonctionnaires gardent plus que jamais les informations sous le coude, pour éviter de nourrir le débat public via des fuites dans la presse.
En effet, il n’y a eu que très peu de procédures sur la base de la nouvelle loi sur les média. Elle a cependant déjà créé un environnement restrictif pour l’accès aux sources d’information et pourrait être utilisée à l’approche des prochaines élections législatives, en 2014. L’auto-censure se trouve déjà bien installée dans les têtes. Le Fidesz sait qu’il a perdu les élections de 2002 parce que ses relations avec la presse étaient détestables. La véritable menace se trouve dans une interprétation restrictive de la loi sur les média par les tribunaux lorsqu’ils ont à juger d’une affaire de presse. En 2011, la publication d’un article peu amène au sujet du célèbre vin hongrois de Tokaï a été considérée en 2e instance comme une calomnie, alors qu’il ne s’agissait que de liberté d’expression. Cette affaire est un exemple anecdotique mais supplémentaire qu’il existe en Hongrie des oligarques intouchables.
On note une forte concentration des média audio-visuels dans des mains proches du pouvoir. À partir de demi-vérités, les média publics deviennent des supports de propagande. Ils évitent de faire écho aux inquiétudes ou critiques de l’Union européenne ou même des États-Unis. Le gouvernement tente de faire taire Klub Radio, seule radio dissidente, en ne renouvelant pas sa licence sous des prétextes administratifs. Les ONG critiques comme « Libertés civiles » (Tasz) précédemment souvent citées par les médias se trouvent désormais le plus souvent ignorées. Son président, Balazs Denes pense que « Libertés civiles » a été inscrite sur une liste noire de sources à ne pas solliciter. Les journalistes pratiquent de plus en plus souvent l’autocensure. Les média d’opposition manquent de moyens, la presse écrite critique vend difficilement plus de 60 000 exemplaires. Leur trésorerie devient de plus en plus fragile, les entreprises étant notamment informées que toute publicité dans ces média d’opposition signifiera pour elle l’absence de contrats publics. Pourtant, la survie d’une presse d’opposition marginalisée devient un atout pour le gouvernement puisqu’elle lui permet de dire : « Vous voyez bien que la presse est libre en Hongrie ! » Se trouver réduit à la fonction d’alibi peut être frustant pour les intéressés. Certes, il existe des blogs critiques mais les campagnes sont peu connectées à Internet.
Le soutien politique au Fidesz diminue mais reste élevé en regard de la crise économique. Les catégories sociales moyennes et modestes sont défavorisées par la politique du gouvernement mais la majorité continue de le soutenir. Croire en Orban est devenu une question de foi. Il devient comme une Eglise. Le Premier ministre va répétant qu’il n’y a pas d’austérité, alors que la situation économique difficile s’impose à presque tous. Des mesures d’austérité particulièrement importantes ont été annoncées et présentées comme la condition pour satisfaire les attentes du FMI et de l’UE. Ce n’est donc pas le gouvernement qui en est la cause, il se présente au contraire comme le défenseur du peuple hongrois face à l’austérité prônée par les instances internationales, allant jusqu’à financer une très grosse campagne de publicité anti-FMI sur ce thème, alors même que les « négociations » sont annoncées être en bonne voie. En réalité, elles n’ont jamais véritablement commencé.
En fait, la loi sur les médias est symbolique de l’image que le gouvernement se fait des média et de la liberté d’expression. L’audiovisuel public a licencié des centaines de journalistes et les nouveaux responsables font de la radio et de la télévision des outils de propagande de piètre qualité mais qui ont une utilité pour formater les esprits et présenter de manière avantageuse les reculades d’Orban.
Le débat public se trouve réduit à peu de choses. La société hongroise est aujourd’hui matérialiste, peu préoccupée par les symboles de la démocratie. La préoccupation principale – et chacun peut le comprendre : le retour à la stabilité économique et si possible l’amélioration du quotidien. Depuis 2010, la stabilité et la prévisibilité se dégradent. Ce qui gêne aussi bien les consommateurs que les investisseurs. La plupart regrette le manque de concertation.
B. LES DECISIONS POLITIQUES PRISES PAR LE GOUVERNEMENT ORBAN
V. Orban a les mains libres. Avec un Parlement à sa botte, il fait ce qu’il veut, quand et comme cela lui plaît. Le point commun de toutes les décisions prises, parfois difficiles à saisir même à l’intérieur et plus encore à l’extérieur des frontières, est de toujours augmenter et prolonger le pouvoir d’Orban. Il conserve une façade d’institutions démocratiques mais il y nomme des proches, ce qui les vide de leur sens.
La Cour suprême a changé de nom, retrouvant celui de Curia en usage avant la Seconde Guerre mondiale. Son président a changé, tout comme le procureur du Parquet. Précédemment, ils étaient élus pour 6 ans par le Parlement sur proposition du président de la République, sous réserve d’obtenir les deux tiers des suffrages. Désormais, le Président de la Curia et le Procureur du Parquet sont élus pour un mandat de 9 ans, mais les modalités d’élection sont restées les mêmes.
La Cour constitutionnelle a vu ses compétences recadrées. Précédemment, n’importe quel citoyen hongrois pouvait y attaquer une loi ou une ordonnance a posteriori, ce qui produisait un engorgement. Publiées au Journal officiel, les décisions de la Cour constitutionnelle devenaient une norme juridique, mais la Cour suprême n’était pas d’accord n’y voyant qu’une interprétation. Il en a résulté un conflit de 6 ans. A compter du 1er janvier 2012, les compétences des deux institutions ont changé. La Cour constitutionnelle se concentre sur le contrôle a priori et a posteriori. Les citoyens ont perdu la possibilité de porter plainte. Le contrôle a priori ne peut être demandé que par le gouvernement, le président du Parlement, ou un quart des députés. Le contrôle à posteriori ne peut être sollicité que par le gouvernement, un quart des députés et l’ombudsman.
La durée des mandats a changé. Elle était précédemment de 6 ans. Portée à 9 ans la durée des mandats dépasse celle de deux mandats parlementaires (4 ans).
Le Président de la Cour constitutionnelle se trouve nommé pour 12 ans non renouvelables. Précédemment la durée était plus courte mais renouvelable, ce qui pouvait amener le Président à prendre des décisions pour se voir reconduit. La limite d’âge était de 70 ans.
L’âge de la retraite des procureurs et des juges a été réduit de 70 à 62 ans. Les personnes concernées sont de facto celles qui avaient été formées à l’époque communiste. Par ailleurs, de nombreux auditeurs de justice attendaient un poste de juge. Sur un total de 28 000 juges, 224 seraient concernés par cette mesure ; pour 1 900 procureurs, 118 seraient visés. Celui qui voudrait continuer à travailler au-delà de 62 ans le pourrait sous réserve de devenir médiateur ou tuteur. La Commission européenne y voit une discrimination.
À la tête de la Curia, V. Orban a nommé un proche : Peter Darak. Les postes clés du ministère de la Justice sont entre les mains d’affidés du chef du gouvernement, notamment l’Office national de la justice qui a la haute main sur la carrière des juges et peut délocaliser un procès sans avoir à se justifier. Cet office est dirigé par une femme, Mme TündeHando dont l’époux. M. Szajer est un député européen très proche de V Orban, un des co-rédacteurs de la nouvelle Loi Fondamentale.
Plus largement, le principal critère de nomination aux postes de hauts fonctionnaires devient la fidélité à V. Orban, la compétence passe bien après. Ainsi, une femme notoirement incompétente a été nommée fin 2011 à la tête du ministère des Ressources Nationales, Madame Z. Nemeth.
Désormais, V. Orban contrôle la Cour constitutionnelle et la Justice. La loi électorale lui permet de voir venir les élections de 2014 avec confiance. Il commence à mettre la main sur la culture et le sport.
Un hongrois confie : « Le système est désormais pourri tellement profondément que le départ d’Orban ne changerait rien. Il faudrait réunir une majorité des deux tiers pour changer la Constitution, reprendre le contrôle d’un appareil d’Etat contrôlé par le Fidesz…Il y a peu de chance que cela soit possible à courte échéance. »
Le gouvernement ne croît pas en la démocratie et il n’y a aucune alternative sérieuse.
C. LES PERSPECTIVES DE L’OPPOSITION
Les déçus du Fidesz rejoignent plus souvent les indécis que les rangs de l’opposition.
Le soutien au Fidesz a baissé de 50% depuis son arrivée au pouvoir en avril 2010. Pour autant, les partis de l’opposition – très divisés – n’ont pas su en tirer bénéfice. L’opposition reste éclatée. Seule l’extrême droite a semble-t-il profité de l’effritement du soutien au Fidesz mais cela reste relatif. Si les élections législatives avaient eu lieu au début de l’année 2012, tout laisse à penser que le Fidesz les aurait encore remporté. Résultat, le Fidesz continue à gouverner en fonction de son seul agenda politique. Globalement, le Fidesz reste uni, publiquement en tout cas, à l’exception notable du Secrétaire d’Etat à l’agriculture, M. Angyan, qui a quitté ses fonctions en mars 2012, après avoir violemment critiqué la loi sur la possession des terres agricoles et la méthode d’attribution de terres. En octobre 2012, il n’avait toujours pas été exclu du Fidesz.
Le Fidesz a gagné en 2010 à la fois parce qu’il incarnait une rupture et parce qu’il a mis en avant des thèmes de gauche, par exemple la gratuité de la santé et de l’éducation. Au contraire, le Parti socialiste soutenait à l’époque qu’il fallait introduire une participation aux frais. Entretemps, le gouvernement Fidesz a supprimé une grande partie des bourses de l’Etat hongrois, rendant de fait l’université payante et onéreuse pour un grand nombre d’étudiants.
Plusieurs paramètres jouent contre V. Orban.
Le style agressif du Premier ministre, peut finir par jouer contre lui. L’affaiblissement des institutions démocratiques et la faiblesse des perspectives de croissance économique peuvent réduire l’aura de V. Orban. Les pauvres sont les plus touchés par les mesures fiscales, notamment l’impôt sur le revenu net. Les mesures sociales en faveur des handicapés ont été revues à la baisse pour les ramener sur le marché du travail. L’allocation perte d’emploi a été raccourcie à trois mois, soit la période la plus courte des 27 pays de l’UE.
La faiblesse et la division de l’opposition bloquent pour l’heure toute alternative. Sans union de la gauche et du centre on peut escompter comme probable une victoire du Fidesz aux prochaines élections législatives de 2014. Dans une certaine mesure, la conjoncture économique pourrait peser lourdement en faveur de l’alternance.
Le rassemblement de l’opposition est, longtemps, paru difficile. D’ici les élections législatives, comment monter une force pour offrir une alternative à V. Orban ? Début 2012, les partis d’opposition n’arrivaient pas véritablement à tirer bénéfice de la perte de soutien au Fidesz, sauf le Jobbik.
La droite se trouve avantagée par le nouveau découpage électoral et la nouvelle loi électorale. Les circonscriptions identifiées au vu du scrutin précédent comme acquises à la droite comptent généralement moins d’électeurs que celles de gauche. Il faudrait donc moins d’électeurs Fidesz pour que celui-ci gagne. En outre, la règle de répartition des restes avantage le parti d’Orban. Si la droite et la gauche avaient le même nombre de voix, la droite l’emporterait tout de même en nombre de sièges de députés.
L’opposition demeure fragmentée. Elle se compose des éléments suivants.
. L’extrême droite, le Jobbik, avec lequel les autres ne veulent pas s’associer. Il pèse en 2012 environ 20% des intentions de vote, sur les talons du parti socialiste. Le Jobbik trouve du soutien auprès des jeunes, y compris diplômés. Il se dit que le Jobbik recevrait des fonds de la Russie et entretiendrait des relations avec l’Iran. Le jeu de Moscou serait de contribuer au chaos politique via le Jobbik. On note que le Jobbik abaisse d’un cran son discours nationaliste lorsqu’il est question des intérêts de l’entreprise gazière russe Gazprom.
La gauche se trouve divisée en quatre partis, ce qui en fait une mouvance fragmentée.
. Le parti socialiste, parti d’opposition le plus important, avec en 2012 environ 20 à 25% des intentions de vote. Il s’agit de la force politique dominante des années de la transition. Il a gagné trois élections législatives sur cinq. Successeur de l’ancien parti-Etat communiste, sa perte de légitimité aux yeux de beaucoup de Hongrois ne vient pas de son passé communiste mais de la médiocrité de sa gouvernance durant les huit années qui ont précédé l’arrivée de V. Orban en 2010. Durant les années 2006 à 2009, le parti socialiste a porté le niveau de corruption à un niveau insupportable dont beaucoup se souviennent. Le parti socialiste a perdu son caractère de gauche pour se transformer un club des nouveaux riches. Les ouvriers et les pauvres ne se reconnaissent plus en lui. Il semble avoir perdu une partie de sa crédibilité. En outre, le Parti socialiste semble affaibli par le départ de F. Gyurcsany, ancien Premier ministre (2006-2009).
. La coalition démocratique, issue du parti socialiste, créée en 2011. Dirigée par F. Gyurcsany, ancien Premier ministre. Elle dispose d’environ 3 % des voix et d’une dizaine de députés, sans avoir reçu l’autorisation de se constituer en groupe parlementaire. Depuis sa création, ce mouvement n’a pas réellement réussi à augmenter son audience
. Le parti vert libéral (LMP), dont le nom signifie « La politique peut être différente ». Peu de temps après sa création, ce parti a fait son entrée au Parlement, avec 7,5% des suffrages et une quinzaine de députés. Il semble peiner à élargir sa base, ce qui peut favoriser un parti en formation : 4e République [4].
Ce sont surtout les nouveaux groupes issus de la société civile qui ont opéré un renouvellement de l’opposition, Solidarité (Szolidaritas), fondé par un ancien militaire, Peter Konya, Un Million pour la démocratie (Milla), dirigé par P Juhasz, groupe créé sur Facebook, qui se constitue en association politique en novembre 2012 et le Mouvement 4ème République. À peu près en même temps (2011), l’ancien Premier Ministre (2009-2010) G. Bajnai, a créé une fondation politique, Patriotisme et Progrès. G. Bajnai, qui avait dirigé le gouvernement avec l’objectif unique d’améliorer la situation économique du pays est considéré par beaucoup comme le seul capable de battre V. Orban.
Rien ne garantit que le parti socialiste, la coalition socialiste, le parti vert libéral voire 4e République soient en mesure de former un front commun. Pourtant, le nouveau système électoral condamne les partis d’opposition à coopérer.
La commémoration du 23 octobre 1956 a été l’occasion pour G. Bajnai d’annoncer la création du Mouvement Ensemble 2014, association politique qui va coexister à côté de sa fondation, et dont il veut faire la base d’une coalition de l’opposition au centre, acceptant tous les apports démocratiques. Si le programme de cette coalition doit faire la part belle aux compromis et gérer les questions de personnalité, c’est néanmoins la première initiative concrète de l’opposition depuis 2010. Le fait que ce soient des organisations civiques qui aient été à l’origine de cette renaissance montre que la population hongroise souhaite pour une bonne part d’entre elle, rompre avec la classe politique traditionnelle. La capacité de ce mouvement à réunir des soutiens dans l’ensemble du pays sera un des enjeux de 2013.
En tout état de cause, la victoire de l’opposition en 2014 sera rendue plus difficile par la loi électorale, le Fidesz ayant modifié de telle façon les circonscriptions qu’il serait encore en mesure de l’emporter aux élections de 2014, éventuellement avec le soutien du Jobbik. La chute du niveau de vie avantage peut-être l’extrême droite. Les Hongrois n’ont plus beaucoup confiance dans les partis qui ont une part de responsabilité dans l’évolution du pays depuis le début de la transition. D’autres analystes ne croient pas que le Jobbik puisse atteindre le seuil de 40% pour remporter les prochaines élections. « Jobbik restera à moyen terme dans la bande des 20 à 25% et le nouveau système électoral ne l’avantage pas. Au contraire, il semble même envisageable que le Jobbik soit le grand perdant des prochaines élections parce que ce type de système électoral ne favorise par les partis moyens. Quoi qu’il en soit, les thèmes du Jobbik sont porteurs. On peut s’attendre à voir repris par d’autres le discours anti-roms, le populisme social anti-banques et anti-multinationales… Un slogan fonctionne bien : "Les tanks sont partis, les banques sont venues". » Le Fidesz n’hésite pas depuis quelques mois à reprendre le discours voire le vocabulaire du Jobbik, notamment sur la dépendance vis-à-vis des institutions et organisations étrangères, afin de gagner des électeurs sur sa droite.
Si la gauche n’a pas la majorité et que le Fidesz seul n’a pas davantage la majorité, alors le Jobbik pourrait cependant être en position de force. Le Fidesz devrait alors décider d’une alliance avec l’extrême droite. Rappelons cependant que le nouveau système électoral fait tout pour avantager le parti gagnant et lui éviter d’avoir à solliciter une alliance. V. Orban le justifie en arguant que dans une situation de crise il est plus important de disposer d’une large marge de manœuvre que d’une représentation strictement proportionnelle.
Celui qui remportera les élections de 2014 sera peut-être celui qui semblera en mesure de satisfaire les attentes de gauche d’une large part de la population parce que la société hongroise reste historiquement marquée par un ancrage à gauche en termes de valeurs.
On ne peut pas savoir avec certitude ce qui va se passer d’ici les prochaines élections en 2014.
Il faut que les dirigeants de l’opposition arrivent à se mettre d’accord sur un document de base, une plateforme commune. Alors le Fidesz perdra peut-être en 2014 sa majorité des deux tiers de députés au Parlement. Quelques-uns imaginent même qu’il pourrait passer sous la barre des 50%.
Même en cas de victoire de l’opposition en 2014, la tâche sera compliquée parce qu’il faudra alors appliquer les mesures d’austérité attendues par l’UE, au risque de devenir impopulaire. Avec ou sans Orban, la Hongrie va au devant d’une période très difficile.
Un expert hongrois confie : « La Hongrie reste un pays démocratique mais plane au-dessus de sa tête des dangers qui pourraient introduire une ambiance qui se rapproche d’un système autocratique. Déjà, certains Hongrois hésitent à manifester publiquement leur désaccord avec le gouvernement et se limitent à des sujets de conversation consensuels. Nous nous dirigeons vers une situation de plus en plus difficile. Il faut éviter que la Hongrie ne tombe dans les abysses d’un régime non-démocratique dont il serait difficile de s’extraire. Nous sommes déjà tombés si bas qu’il faudra du temps pour reconstruire une économie solide et une image positive. »
Pour ceux qui veulent voir la Hongrie changer, l’UE et le monde euro-atlantique comptent beaucoup. Les impulsions qui viennent de Washington et de Bruxelles importent pour montrer qu’au-delà des frontières de la Hongrie des personnalités tendent un miroir qui pointe des dérapages. « Sans réaction des États-Unis et de l’UE, les opposants se sentiraient isolés, à la merci du gouvernement. »
En 2012, le discours gouvernemental affirme que « le vent souffle de l’Est et non de l’Ouest ». Les autorités aspirent à nouer des liens avec des pays orientaux non slaves. Il est vrai que les Hongrois sont issus d’une souche proche de l’Asie qui leur donne une image positive chez les Azeris, Turcs, Mongoles, Turkmens, Kazacks, Kirghizes, voire auprès des Iraniens.
Dans ce contexte, comment comprendre les relations de la Hongrie avec l’Union européenne ?
III. QUELLE RUPTURE AVEC L’UE ?
Dans ses relations avec la Hongrie, l’Union européenne se trouve affaiblie par ses difficultés économiques et institutionnelles. Compte tenu du nombre d’inconnues qui pèsent sur l’avenir de l’UE, V. Orban pense que tout est permis.
Étudions successivement (A) comment il joue avec les l