"UE-27 Crise mais rattrapage des Nouveaux Etats membres?", Pierre Verluise
UE-27 Crise mais rattrapage des Nouveaux Etats membres?
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*, le 18 novembre 2012, dilowebDirecteur du Diploweb.com. Directeur de recherche à l’IRIS. P. Verluise enseigne la Géographie politique à la Sorbonne, au Magistère de relations internationales et action à l’étranger de l’Université Paris I. Il a fondé le séminaire géopolitique de l’Europe à l’Ecole de guerre. Distinguished Professor de Géopolitique à GEM. Chercheur associé à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Chaire Raoul Dandurand.
Géopolitique de l’Union européenne. La crise a-t-elle stoppé le « rattrapage » économique des nouveaux États membres ? P. Verluise répond avec 4 illustrations inédites. En matière de PIB par habitant en SPA, huit des douze nouveaux États membres réduisent leur écart à la moyenne de l’UE de 2 à 11 points de pourcentage de 2007 à 2011. La crise économique n’a donc pas empêché la poursuite du processus de « rattrapage » de la majorité des nouveaux Etats membres par rapport à la moyenne de l’UE. Avec 1 tableau, 2 graphiques et 1 carte cet article présente aussi une réflexion sur les atouts et les limites de ces supports.
LES élargissements de l’Union européenne en 2004 et 2007 ont été faits au bénéfice de douze pays plus pauvres que la moyenne de l’Union européenne [1]. Avant comme après leur adhésion, des politiques de cohésion ont été mises en place pour réduire les importants écarts de niveau de vie [2]. La crise économique venue des États-Unis a-t-elle eu un effet sur la hiérarchie de richesse entre pays membres de l’UE ?
Afin de trouver des éléments de réponse, considérons le PIB par habitant en Standards de pouvoir d’achat [3] (SPA) UE-27 base 100. Cet indicateur élimine les différences de niveaux de prix entre les pays. Pour juger de l’impact de la crise économique engagée en 2008, comparons les données de l’année qui la précède – 2007 – et celles de 2011. En cinq ans, quels sont les pays qui se sont appauvris ou enrichis de manière relative par rapport à eux-même et à la moyenne de l’UE ? Articulons la réponse en jouant de plusieurs supports pour en montrer les limites et les atouts : tableau chiffré (I), graphiques (II), puis carte.
I. Le tableau chiffré…
La réponse à la problématique peut s’articuler de plusieurs façons. La première consiste à extraire les données de la base d’Eurostat pour 2007 et 2011, sous la forme d’un tableau hiérarchisé par rapport à l’année 2007.
La colonne de droite du tableau 1 présente la variation de 2011 par rapport à 2007, positive, nulle (seulement pour l’UE-27) ou négative. Pas un seul pays de l’UE-27 n’est resté au même niveau relatif que celui qu’il affichait 5 ans plus tôt. Tous les pays n’ont pas connu le même sort, puisque l’Irlande à régressé de 21 points de pourcentage quand la Pologne progressait de 11.
II. Les graphiques, statique et dynamique
Ces données peuvent être ensuite présentées sous la forme du graphique 1 : UE-27, ex-UE-15, zone euro, pays membres : PIB par hab. en SPA, 2007 et 2011, UE-27=100.
L’avantage de ce premier graphique est de rendre compte des hiérarchies mais les variations sur cinq années restent assez peu visibles. Comment faire mieux ?
Afin de rendre les dynamiques plus palpables, considérons maintenant le graphique 2 : UE-27, ex-UE-15, anciens membres, nouveaux Etats membres entrés en 2004* ou 2007**, Croatie candidate pour 2013***, variation en points de pourcentage du PIB par hab. en SPA de 2007 à 2011, UE-27=100. [4]
Le graphique 2, plus dynamique, permet maintenant de distinguer quatre groupes de pays. [5]
Le groupe 1 se démarque par une chute de 21 à 6 points de pourcentage de son PIB par habitant en SPA, UE-27 base 100 de 2007 à 2011. Ce qui marque un appauvrissement très significatif.
Il s’agit des quatre États suivants : Irlande (-21 points de pourcentage), Grèce et Royaume-Uni (-8), et Espagne (-6). Ce groupe comprend donc trois pays de la zone euro (Irlande, Grèce, Espagne).
Alors que les médias restent longtemps discrets sur l’impact de la crise économique au Royaume-Uni, cette donnée démontre que la régression y est marquée. Le refus britannique de l’euro ne le préserve donc pas d’une dégradation de son niveau de vie relatif. [6] Chacun aura même relevé dans le tableau qu’en 2011 le PIB par hab. en SPA UE base 100 du Royaume-Uni est exactement… celui de la zone euro (108).
En revanche, le groupe 1 ne compte pas de nouvel État membre (NEM).
Le groupe 2 se caractérise par une baisse de 4 à 1 points de pourcentage de son PIB par habitant en SPA, UE-27 base 100 de 2007 à 2011.
Il s’agit des dix États suivants : Slovénie (-4 points de pourcentage) ; Estonie, Italie et République tchèque (-3) ; Finlande et Portugal (-2) ; Chypre, France, Luxembourg et Pays-Bas (-1). L’ex-UE-15 et la zone euro affichent le même résultat que la France : -1. Autrement dit la baisse relative du niveau de vie de la France est égale durant ces cinq années à la moyenne des anciens Etats membres ou des 17 pays de la zone euro. Le groupe 2 compte d’ailleurs presque exclusivement des pays membres [7] de la zone euro : seule la République tchèque n’en est pas. Ce groupe compte quatre nouveaux États membres, soit un tiers des douze NEM.
Le groupe 3 présente une stagnation (0) ou une progression jusqu’à 5 points de pourcentage de son PIB par habitant en SPA, UE-27 base 100 de 2007 à 2011.
Il s’agit des onze États suivants : Croatie (candidate pour 2013, 0) ; Suède (1 point de pourcentage) ; Belgique, Danemark et Lettonie (2), Lituanie (3) ; Allemagne et Hongrie (4) ; Autriche, Bulgarie et Slovaquie (5). Notons que la Croatie colle au résultat de la moyenne de l’UE-27, ce qui plaide d’une certaine façon pour son adhésion le 1er juillet 2013. Ce groupe compte seulement quatre membres de la zone euro (Belgique, Allemagne, Autriche, Slovaquie). Il affiche aussi – Croatie non comprise à cette date puisqu’elle n’est pas membre – cinq NEM.
Le groupe 4 affiche une hausse de 7 à 11 points de pourcentage de son PIB par habitant en SPA, UE-27 base 100 de 2007 à 2011. Soit une progression très significative.
Il s’agit des trois pays suivants : Malte et Roumanie (7 points de pourcentage), Pologne (11). Ce groupe ne comprend qu’un membre de la zone euro : Malte. Tous sont des NEM et ils représentent un quart des douze pays de ce groupe. Il faut noter la performance de la Pologne qui rattrape 11 points de pourcentage en seulement 5 ans, soit une moyenne de 2,2 par an. Ce qui place Varsovie dans la fourchette haute du rythme de « rattrapage » des NEM antérieur à la crise.
Conclusion
Ainsi, en matière de PIB par habitant en SPA, huit des douze nouveaux États membres réduisent leur écart à la moyenne de l’UE de 2 à 11 points de pourcentage de 2007 à 2011. En revanche, la crise économique a eu des conséquences néfastes pour la Slovénie, l’Estonie, la République tchèque et Chypre. La crise économique n’a cependant pas empêché la poursuite du processus de « rattrapage » de la majorité des nouveaux Etats membres par rapport à la moyenne de l’UE. Les habitants des pays concernés le doivent d’abord à leur travail et ils ne sont en rien responsables de la gouvernance économique dans les anciens pays membres. Rappelons, cependant, que les nouveaux pays membres ont bénéficié durant toutes ces années des fonds européens qui avaient été prévus avant que la crise ne traverse l’Atlantique. Tout en amortissant les effets de la crise économique ces fonds peuvent avoir contribué au « rattrapage ». Notons que près d’un tiers des fonds européens au bénéfice des pays les plus pauvres reviendraient dans les pays les plus riches, contributeurs nets au budget de l’Union européenne. [8] Ce qui n’a rien de surprenant compte tenu de l’importance des échanges intra-communautaires.
Les 12 NEM demeurent cependant plus pauvres que la moyenne de l’UE-27. Un troisième type de support en rend compte de façon spatialisée : carte du PIB par habitant en SPA, UE-27=100, en 2011.
Après comme avant la crise, les nouveaux États membres de l’UE forment une périphérie de la mégalopole européenne. Des États Baltes à Chypre en passant par la République tchèque, les 12 NEM continuent à former un triangle de pauvreté relative. Pour autant, ce qui précède démontre combien il convient d’actualiser nos perceptions de l’ensemble des pays membres de l’UE.
Enfin, n’oublions pas que l’UE n’est pas seule au monde. Il s’agit, bien au contraire, de la zone qui semble avoir le plus de difficultés à retrouver le chemin de la croissance. Il se peut que certains des pays qui semblent s’en sortir assez bien à l’échelle de l’Union européenne connaissent une régression relative à l’échelle de la planète.
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[1] Pierre Verluise, Géopolitique de l’Europe : l’Union européenne élargie a-t-elle les moyens de la puissance ? (5 cartes, 35 graphiques). Paris : Ellipses, 2005. 160 p. Voir aussi Pierre Verluise, P. Fondamentaux de l’Union européenne. Démographie, économie, géopolitique. Préface du recteur Gérard-François Dumont. 10 cartes, 28 graphiques, bibliographie, index. Paris : Ellipses, décembre 2008, 160 p.
[2] Cf. Marjorie Jouen, « UE 27 Disparités interrégionales : la réduction est-elle un objectif inatteignable en période de crise ? », publié sur le site géopolitique Diploweb.com le 9 septembre 2012 à l’adresse http://www.diploweb.com/UE-27-Dispa...
[3] Eurostat : « Le produit intérieur brut (PIB) est une mesure de l’activité économique. Il est défini comme la valeur de tous les biens et services produits moins la valeur des biens et services utilisés dans leur création. L’indice de volume du PIB par habitant en standards de pouvoir d’achat (SPA) est exprimé par rapport à la moyenne de l’Union européenne (EU-27) fixée à 100. Si l’indice d’un pays est supérieur à 100, le niveau du PIB par tête pour ce pays est supérieur à la moyenne de l’Union européenne et vice versa. Les chiffres de base sont exprimés en SPA, c’est-à-dire dans une monnaie commune qui élimine les différences de niveaux de prix entre les pays, permettant des comparaisons significatives du PIB en volume entre les pays. »
[4] Ce sont les chiffres du tableau 1, colonne de droite.
[5] Source : Eurostat, base de données en ligne, consultation juin 2012. Nota bene : il s’agit de données à l’échelle nationale. Autrement dit, ce graphique ne rend pas compte des inégalités régionales au sein d’un pays membre. Il ne permet pas davantage d’appréhender l’impact différencié de la crise selon les générations, les sexes et les groupes sociaux.
[6] Certains économistes voient le Royaume-Uni comme "l’homme malade de l’Europe".
[7] Les 9 pays suivant appartiennent à la zone euro : Slovénie, Estonie, Italie, Finlande, Portugal, Chypre, France, Luxembourg et Pays-Bas. La zone euro compte 17 États membres.
[8] Cf. Marjorie Jouen, « UE 27 Disparités interrégionales : la réduction est-elle un objectif inatteignable en période de crise ? », publié sur le site géopolitique Diploweb.com le 9 septembre 2012 à l’adresse http://www.diploweb.com/UE-27-Dispa...