interdite la marche des fiertés LGBT prévue à Riga

Riga — Sodome — Riga

Par Kaspars ZĀLĪTIS
Le 15/05/2012, regard-est

L'organisation de la marche des fiertés LGBT prévue à Riga au mois de juin 2012 a été interdite par la municipalité de la capitale lettone sous le couvert d'une rhétorique religieuse. Kaspars Zālītis, représentant de l'association LGBT de Lettonie, Mozaïka, dénonce avec humour le conservatisme de la puissance publique dans le contexte des évolutions récentes en Russie et aux États-Unis.

 

Extrait du protocole n°87 du 19 avril 2012 du Comité de la ville de Riga pour la sécurité, l'ordre public et la prévention de la corruption:
«Dans les textes normatifs de l'État et des municipalités de Lettonie, aucune discrimination des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles, transsexuelles et de leurs amis, sur la base de leur orientation sexuelle, n'a été relevée.
La manifestation en public de son orientation sexuelle constitue un acte d'agression envers les autres. Personne n'est autorisé à faire parade, car «pride» veut dire parade et les gays, lesbiennes et transsexuels le font en faisant montre publiquement de leur orientation sexuelle. C'est une forme d'agression et une victime d'agression a le droit de se défendre.
Ni la Lettonie ni Riga ne doivent connaître le sort de Sodome. Il ne s'agit pas seulement d'un châtiment divin mais aussi de l'effondrement d'un système de valeurs et d'une catastrophe démographique que propagent les lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels et leurs amis


Kapars Zālītis (Riga): Riga – Sodome – Riga
Texte publié initialement le 2 mai 2012, sur politika.lv
Traduit du letton par: Eric Le Bourhis

À l'approche de la nouvelle et quatrième marche des fiertés LGBT des États baltes, qui cette année revient en Lettonie[1], les discussions sur l'importance de la manifestation et sur ses effets sur les habitants de Riga et de la Lettonie ont commencé à faire des vagues. Le Comité de la ville de Riga pour la sécurité, l'ordre public et la prévention de la corruption a enflammé les passions en envoyant une lettre à l'Union des LGBT et leur amis, Mozaīka, invitant l’association à prévenir la propagande homosexuelle et à ne pas organiser la marche traditionnelle au centre de Riga.

Plusieurs personnalités politiques et activistes des droits de l'homme ont déjà qualifié le message du comité d'obscurantiste, mais une partie des observateurs de l'actualité politique ne parvient pas à croire à la véracité et au contenu de cette lettre.

Le châtiment divin s'abat sur Riga

Qu'est-ce que cette lettre a d'exceptionnel? Rien, semble-t-il, qui n'aurait pas été observé ces dernières années dans la période qui précède les journées de l'Amitié organisées par Mozaīka. Le défenseur passionné des droits de l'homme et de la morale, pasteur et conseiller municipal de Riga Jānis Šmits (du nouveau parti «Gods kalpot Latvijai» [Dieu serve la Lettonie]) s'inquiète comme tous les ans pour la morale de la société à l'approche des journées de l'Amitié, c'est pourquoi, dans les limites de son champ d'action, il fait en sorte que Riga ne soit pas touchée par la propagande homosexuelle. J.Šmits travaille au comité précédemment évoqué auquel le Collégium des paroisses chrétiennes de Riga, fondé à l'initiative du même Šmits, a envoyé son avis sur la nocivité de la marche des fiertés.

Le point de vue de Šmits n'est un secret pour personne et la Constitution de Lettonie garantit la liberté d'expression de chaque individu. Toutefois, bien plus discutable est la justification donnée par le Comité municipal, dirigé par le membre du parti de Šmits, Dainis Turlais, pour interdire la marche dans le centre de Riga: «Ni la Lettonie ni Riga ne doivent connaître le sort de Sodome. Il ne s'agit pas seulement d'un châtiment divin mais aussi de l'effondrement d'un système de valeurs et d'une catastrophe démographique que propagent les lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels et leurs amis

Bien que la Lettonie soit un État laïc, cette référence biblique est inscrite dans le protocole de réunion du comité de la Ville de Riga[2], signé par les conseillers municipaux qui sont membres du comité, notamment le maître de conférences de l'École supérieure de formation des professeurs et des chefs d'établissement de Riga (Rīgas Pedagoģijas un izglītības vadības augstskola), Elmārs Vēbers[3]. Ce comportement pose des questions sur les compétences des conseillers municipaux et sur leurs connaissances des bases légales de l'État.

Très récemment, la ville de Saint-Pétersbourg a publié un décret d'interdiction de la propagande homosexuelle[4], comme l'avait fait auparavant l'oblast d'Arkhangelsk, tandis que certains expriment le désir de porter cette initiative au niveau fédéral pour l'étendre à toute la Russie. Bien sûr, si nous souhaitons nous rapprocher de la conception des droits de l'homme de la Russie, alors à Riga, capitale de la Lettonie, État européen, il faudrait se mettre rapidement à limiter les droits et libertés non seulement des LGBT mais aussi des autres groupes minoritaires, qui pourraient menacer Jānis Šmits et ses complices.

Je suis convaincu que si la ville de Riga accepte l'interdiction de propagande homosexuelle proposée par Šmits, l'association Mozaīka devra s'adresser une nouvelle fois au tribunal qui sera bien obligé de constater, une nouvelle fois, l'incapacité de la municipalité à prendre des décisions conformes à la Constitution de la République de Lettonie et à la législation en vigueur.

Conception des droits de Sodome

La peur de Sodome et Gomorrhe est indéfectible. Cette panique ne fléchit pas comme la recherche de l'Atlantide mythique. Parier que Riga connaîtra le destin de Sodome relève de l'étroitesse d'esprit. Même si nous prétendons ne pas voir l'absurde de ce que les conseillers municipaux se sont autorisé à écrire dans un document juridique, nous pouvons bien constater que Dieu n'a détruit ni Londres, ni Stockholm, ni New York, ni Israël, Terre Sainte pour beaucoup, où des marches LGBT ont eu lieu et continuent à se dérouler.

Bien sûr, le comité municipal peut inviter Mozaīka à renoncer à l'organisation de la marche au centre de Riga pour choisir une périphérie de la ville, là où la marche «ne traumatisera pas des victimes de l'agression». Mais dans ce cas, ni les victimes de l'agression, ni la manière dont elles ont le droit de se défendre, ne sont clairement définies. Est-ce que ceux qui se considèrent comme des victimes ont le droit de se défendre comme en 2006, lorsque les participants des journées de l'Amitié se sont fait arroser d'excréments?[5] Ou bien peut-être peut-on utiliser ses droits légaux et organiser une protestation pacifique, comprenant une marche et une rencontre?[6]

Pourtant, chacun – aussi bien Mozaīka que ceux qui rejettent son point de vue – a le droit d'exprimer son point de vue, ce que garantit le centième article de la Constitution. Mais il est important que cela se déroule de manière civilisée, et non pas sous la forme d'outrages manifestes.

La culture pop et la politique

Au plus grand étonnement du comité municipal, cette année à Riga est organisé à Mežaparks le second événement réunissant probablement le plus de personnes LGBT: le concert de Lady Gaga[7]. Outre son appartenance possible à une des dernières tendances possibles de la culture pop, Lady Gaga[8] est aussi globalement considérée comme le principal porte-parole ou presque des personnes LGBT et ne prévoit pas de reculer devant quelque organisation malveillante. Espérons que cet événement n'emportera pas Riga vers le destin de Sodome.

Toutefois, les célébrités ne sont pas seules à inviter leurs fans et la société dans son ensemble à soutenir la communauté LGBT: des politiques s'engagent également activement dans l'amélioration globale des droits des LGBT. Par exemple, le président américain Barack Obama et la secrétaire d’État Hillary Clinton ont fait des droit LGBT une des priorités des États-Unis en matière de droits de l'homme[9]. Au niveau fédéral, les États-Unis pénalisent les délits de haine, qui sont commis sur la base de l'orientation sexuelle et du genre.

Haine ou valeur chrétienne?

Mais ici, en Lettonie, ce qui est préoccupant, c'est que l'agression contre les personnes LGBT s'appuie sur la défense des valeurs chrétiennes. Un appel fanatique aux valeurs chrétiennes, qui s'exprime avant tout comme une violence émotionnelle nous semble-t-il, dépasse davantage les valeurs chrétiennes que tout ce qui est ici condamné. Autour de nous se trouvent tant de chrétiens dont l'échelle des valeurs comprend l'amour du prochain, et dont le comportement est conforme à la Bible – ne jette la pierre que si toi-même tu n'as pas péché.

Prendre les valeurs chrétiennes comme prétexte pour exprimer la haine, ainsi que le rappel constant de ces valeurs, c'est faire l'équilibre sur la pointe d'un couteau car la Constitution ainsi que les textes généraux sur les droits de l'homme donnent à chacun le droit de choisir à quelle religion appartenir ou ne pas appartenir. En Lettonie vivent des personnes d’obédiences diverses, et les droits de ces personnes sont défendus par l'article 99 de la Constitution, qui définit aussi la séparation de l’Église et de l’État. Je pense que la majorité des habitants respectent les droits de tout un chacun de choisir son appartenance religieuse. Mais pourquoi donc certains individus se cachent derrière des valeurs chrétiennes pour semer la haine au sein de la société lettone? Peut-être qu'une des explications est à chercher dans l'article publié tout récemment par Richard Ryan et William Ryan dans le New York Times[10], basé sur le résultat d'une recherche. Cette recherche montre que les personnes qui expriment un agressivité particulière à l'égard des personnes LGBT et soutiennent une politique tournée contre cette communauté, sont souvent elles-mêmes homosexuelles ou refoulent leur homosexualité.

J'espère que, du fait de la concordance de différents événements, cette année sera un grand tournant positif pour la communauté LGBT et pour la Lettonie. À tous ceux qui ne connaissent aucune personne LGBT: peut-être devez vous vous interroger sur votre degré de tolérance et à la mesure dans laquelle il faut vous croire. Quoi qu'il en soit, je vous invite et vous encourage tous à participer aux prochaines journées de l'Amitié, au début du mois de juin, pour que tous ensemble nous puissions nous rendre compte de notre diversité. Des liens forts qui nous unissent tous, et ce sont nos droits, car nous sommes, tous, simplement des êtres humains.

Notes:
[1] LGBT: Lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels. Depuis 2009, la marche des fiertés des États baltes se déroule dans un pays différent chaque année. En Lettonie, elle avait été organisée pour la dernière fois en 2009 dans le jardin Vērmanes.
[2] Protocole de réunion du 19 avril 2012 n°87 du Comité de la ville de Riga pour la sécurité, l'ordre public et la prévention de la corruption. Disponible à l'adresse:
http://www.scribd.com/kristineg8602/d/91172952-Rig-as-Dome
[3] Site Internet de Rīgas Pedoģijas un izglītības vadības augstkolas:
http://www.rpiva.lv/index.php?mh=k_skolvad
[4] Stephen Gray, «St Petersburg passes ‘gay propaganda’ law», pinknews.co.uk, 29 février 2012.
[5] «Turlā palīgs pārsūdzējis spriedumu par seksuālo minoritāšu apmētāšanu ar izkārnījumiem», Delfi.lv, 23 février 2008.
[6] Loi «sur les réunions, les marches et les piquets»
Cf. http://www.likumi.lv/doc.php?id=42090
[7] Cf. http://www.fbi.lv/lv/pasakums/lady-gaga-23-08-2012.ev-619/
[8] Jeremy Kinser, «Portrait of a lady», advocate.com 15 juillet 2011.
http://news.advocate.com/post/7263991145/lady-gaga-portrait-of-a-lady
[9] Presidential Memorandum «International Initiatives to Advance the Human Rights of Lesbian, Gay, Bisexual, and Transgender Persons», 6 décembre 2011.
http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2011/12/06/presidential-memorandum-international-initiatives-advance-human-rights-l
[10] Richard M. Ryan & William S. Ryan, «Homophobic? Maybe You’re Gay», New York Times, 27 avril 2012.
http://www.nytimes.com/2012/04/29/opinion/sunday/homophobic-maybe-youre-gay.html?_r=2&hpw&fb_source=message

Texte initialement publié le 2 mai 2012: http://politika.lv/article/riga-sodoma-riga

Vignette: «Rusty Old Train at Weybourne Station» (Roger Blackwell, 2008, Creative Commons)