minorités ethno-confessionnelles à l’Iran (III/VI)
(cont. III/VI)
...leur région d’enracinement, voire la possibilité de soutiens étrangers [68].
De fait, le groupe nouvellement fusionné Ansar Al-Furqan avait étrangement revendiqué le 30 décembre 2017, dans le contexte des troubles de décembre 2017-janvier 2018, des attentats à la bombe sur des pipelines de la région d’Ahwaz, dans la province arabophone du Khouzistan, soit à l’extrême opposé géographique du pays. Ansar al Furqan avait à cette occasion déclaré qu’« un important oléoduc [avait] été détruit dans la région d’Omidiyeh occupée d’Ahvaz, en Iran ». Le groupe avait ajouté qu’il avait mis sur pied une nouvelle unité, la « Brigade des martyrs d’Ahwaz » [69]. Or, c’est dans cette région occidentale de l’Iran que s’était par la suite produit un attentat d’envergure en septembre 2018.
Début 2019, les Gardiens de la révolution (Pasdarans) avaient été spécifiquement visés par un attentat sanglant. En effet, le 14 février 2019, une attaque à la voiture piégée a ciblé un bus des Gardiens de la Révolution, toujours dans la province du Sistan-Balouchistan, dans le sud-est du pays. Elle était l’une des plus meurtrières contre cette armée idéologique du régime créée en 1979 - parallèlement à Artesh, l’armée régulière en laquelle le régime n’a jamais rélelment eu confiance depuis la chute du Shah en 1979 - dans le but déclaré de protéger la Révolution islamique iranienne des menaces à la fois étrangères et intérieures. Le président iranien de l’époque, Hassan Rohani, avait promis dès le lendemain de sévir contre le « groupe mercenaire » qui avait tué 27 membres de ce Corps des Gardiens de la révolution et en avait blessé 13 autres et il avait de nouveau accusé Israël et les Etats-Unis de soutenir le « terrorisme » en Iran à travers les groupes séparatistes présents sur son territoire. Le groupe djihadiste sunnite Jaich al-Adl (« Armée de la justice »), avait officiellement revendiqué l’attaque. « Nous ferons certainement payer à ce groupe mercenaire le prix pour le sang versé par nos martyrs », avait déclaré Hassan Rohani. « Les Etats-Unis, les sionistes [Israël, NDA] et certains pays pétroliers [de la région comme l’Arabie saoudite, NDA] qui [les] financent sont la racine principale du terrorisme dans la région », avait accusé Hassan Rohani. Il avait encore pressé les pays voisins [en l’occurrence le Paksitan, NDA] d’assumer « leurs responsabilités » et de ne pas permettre aux « terroristes » d’utiliser leur territoire pour préparer des attaques contre l’Iran. En ajoutant : « Si ces pays ne sont pas en mesure d’arrêter les terroristes nous nous réservons le droit d’agir ». La menace était à peine voilée et devait être confirmée un jour plus tard.
Les accrochages s’étaient multiplés en 2021, notamment le 24 juillet 2021 dans la région de Kash, zone frontalière du Sud-Est iranien, lors duquel quatre membres du Corps des Gardiens de la révolution avaient été tués par des « malfaiteurs ». Fin avril 2021, les Gardiens de la révolution avaient annoncé avoir tué dans une opération à la frontière trois « terroristes », sans plus de précisions. Une personne avait été tuée, le 21 mars 2021, dans un attentat à la bombe ayant fait aussi trois blessés au Sistan-Baloutchistan, selon l’agence officielle iranienne Irna. L’attentat, perpétré par « un groupe terroriste lié à l’arrogance mondiale » (istikbar-e-jahani) [les Etats-Unis et leurs alliés, dans la phraséologie officielle de la République islamique, NDA] avait eu lieu dans la ville de Saravan, à une cinquantaine de kilomètres de la frontière pakistanaise. La bombe avait explosé sur une place, faisant un mort et trois blessés. L’attentat, commis le premier jour de l’année [islamique] iranienne 1400, survenait environ un mois après des heurts meurtriers au Sistan-Baloutchistan. En effet, deux personnes, parmi lesquelles un policier, à Saravan, avaient été tuées, le 22 février 2021, dans des violences liées à des trafics récurrents de carburant - subventionné en Iran - vers le Pakistan voisin avec lequel les relations sont souvent tendues. Dernier accrochage en date du 19 décembre 2022, quatre membres des forces de sécurité iraninenns ont été tués dans une attaque dans le Sistan-Balouchistan touchée de manière récurrente par des épisodes de violence qualifiés d’attaqes terroristes. « Lors d’un acte terroriste, quatre membres des forces de sécurité des Gardiens de la révolution sont tombés en martyrs » dans la région de Saravan, selon la rhétorique habituelle de la presse officielle iranienne.
B. L’agitation « ethno-confessionnelle » récurrente dans la province arabophone du Khouzistan (Iran occidental)
La province du Khouzistan, région du Sud-Ouest de l’Iran située entre le Golfe persique, le Chatt al Arab de la Mésopotamie, les montagnes du Kurdistan iranien et les monts Bakhtiar de la chaîne du Zagros, a un long passé historique avec le site de Suse où le prophète biblique Daniel aurait vécu. Elle est aujourd’hui majoritairement peuplée d’Arabophones (estimés environ à deux millions et demi de personnes, soit près de 3 % des quelque 80 millions de la population totale et 25 % des habitants de ladite province, majoritairement des Arabes chiites (à 75 %), issus de tribus venues de la péninsule Arabique dès l’époque akkadienne ou qui se sont installées après l’islamisation de la Perse, et connaît une agitation récurrente. De ce fait, elle est parfois appélée « Arabistan », mais est qualifiée par les Arabophones de province d’Al-Ahwaz. L’empereur Reza Shah Pahlavi (1925-1941) rebaptisa l’« Arabistan » en Khouzistan (« pays des tours ») et « persianisa » les noms des villes : Muhammara devint Khorramshar dans la terminologie perse, Howasiya devint Dacht Michan et le nom d’Al-Ahwaz dut désormais s’écrire Ahvaz en le prononçant à la persane. Cela ne signifie pas pour autant que la langue arabe y soit proscrite. De fait, en vertu de la Constitution (art. 16) établie par la République islamique de 1979, étant donné que la langue du Coran est l’arabe et que la littérature persane s’en trouve profondément imprégnée [70], cette langue doit donc être enseignée scolairement [71]. Malgré la reconnaissance officielle de la langue arabe comme langue officielle - car sacrée - en Iran, il s’avère que les Arabes du Khouzistan ne peuvent bénéficier de l’enseignement de la langue arabe à l’école, ce qui explique d’ailleurs pour partie un taux d’échec scolaire record dans cette région, de l’ordre de 70 % [72].Et toute revendication d’une identité arabo-chiite au détriment de l’allégeance nationale iranienne - a fortiori aujourd’hui à proximité d’un Irak désormais dominé par la majorité arabo-chiite - demeure irrecevable pour le pouvoir iranien. Des révoltes éclatèrent dès 1925, puis de nouveau en 1928 et en 1940. Elles furent toutes réprimées dans le sang. Le fait est que sous la dynastie des Pahlavi se développa une forme de nationalisme « populaire » qui peut prendre une tonalité « ethnique » clairement anti-arabe. Comme le rappelle Reza Zia-Ebrahim, le nationalisme iranien s’est inspiré du nationalisme européen du XIXème siècle, aux relents parfois « racistes ». Ce phénomène explique la persistance d’un racisme anti-arabe chez certains Iraniens , jusque et y compris au sein de la République islamique [73].
Toujours est-il que c’est au cours des années 50-60 que des partis ouvertement indépendantistes virent le jour : ce fut d’abord en 1956 l’apparition du « Front de libération de l’Arabistan » (FLA) qui proclama que la région arabophone ne pouvait être libérée que par une « révolution totale » et que « la lutte armée est le seul moyen de mettre fin au pouvoir iranien en Arabistan ». Ce mouvement donna naissance en 1960 au National Front for the Liberation of Al Ahwaz (NFLA)/Front de libération de l’Arabistan et du Golfe arabe (FLAGA) qui réclamait le rattachement à l’Irak nationaliste et qui se transforma en 1967 en National Front for the Liberation of Al Ahwaz (NFLA)/Front national pour la libération d’Al-Ahwaz (FNLA), dont le nom a été modifié, le 7 février 1979, en Arab Revolution Movement for the Liberation of Al-Ahwaz (ARMLA), soit en Mouvement de la Révolution arabe pour la libération d’Al-Ahwaz (MRALA) dont l’emblème renvoie directement à celui de l’aigle baathiste irakien.
Au lendemain de la chute du Pahlavi Mohammed Reza Shah (1941 - 1979), le Khouzistan était rentré en lutte armée en avril 1979 pour obtenir son autonomie via l’Organisation politique et culturelle arabe. La même année Abdallah Salameh, Sécrétaire général du Mouvement de la Révolution arabe pour la libération d’Al-Ahwaz (MRALA), d’obédience nasséro-baathiste, affirma que les 2,5 millions d’Arabophones vivant au Khouzistan considéraient les Perses comme de simples « colons ». Il se déclara prêt à lutter contre tout successeur du Shah qui n’accorderait pas l’indépendance aux Arabes d’Iran. La région revendiquée s’étendait de la frontière irakienne au détroit d’Ormuz. Rien de moins. La situation de la minorité arabophone, de fait, ne s’améliora pas sous le nouveau régime de la République islamique. La presse en langue arabe demeura interdite dans la province. La contestation avait alors pris rapidement la forme d’actions terroristes visant notamment les installations pétrolières d’une région stratégique parce que recélant la majeure partie du pétrole iranien (la région fournit effectivement 80 % de la production iranienne). La vigueur de la répression armée menée par la République islamique fut à la mesure de l’inquiétude soulevée pour le pouvoir central. Pour ces raisons, prévaut généralement l’idée selon laquelle les Iraniens arabophones seraient des séparatistes déclarés, voire constitueraient une « cinquième colonne » potentielle. Or, la situation est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Quand Saddam Hussein a attaqué l’Iran le 22 septembre 1980, il comptait évidemment sur la sympathie de ces Iraniens arabophones vivant dans cet « Arabistan » dont il se prétendait le « libérateur » [74]. A Bagdad, des rumeurs circulaient sur la proclamation d’une République d’Arabistan. Mais une minorité seulement de ces Arabophones se tourna vers l’Irak. Contrairement à ce qu’avait pensé le dictateur irakien, l’écrasante majorité des Arabes iraniens du Khouzistan, essentiellement d’obédience chiite - on estime généralement la proposition Sunnites à 20 % des Arabophones de la province, ceci expliquant peut-être cela -, allaient défendre leur pays aussi vigoureusement que leurs frères persans, notamment parce qu’ils rejetaient l’idéologie du panarabisme annexée alors par le « baathisme » irakien. De rage, Saddam Hussein avait d’ailleurs durement châtié une communauté demeurée fidèle à l’Iran : ses troupes spéciales étaient allées jusqu’à torturer et assassiner nombre de femmes appartenant à cette communauté pour la terroriser. Prenant acte sans doute de cette réalité sous-estimée, lors du 11ème sommet arabe qui se tint à Amman en novembre 1980, Saddam Hussein finit par déclarer : « C’est au peuple de l’Arabistan, comme aux autres peuples de l’Iran, de décider de leur sort ». Et d’ajouter dans une interview accordée en janvier 1981 : « Si les circonstances donnent aux minorités iraniennes l’occasion de s’auto-gouverner, nous sommes d’accord » [75]. Son ministre des Affaires étrangères de l’époque, Tarek Aziz, sera moins elliptique que son mentor en précisant que « l’Irak est le soutien le plus ferme à leur cause ». [76]
La fin de la guerre Iran-Irak (1980-1988) sonna temporairement le glas des rêves d’indépendance des nationalistes d’Al-Ahwaz. Les plus impliqués se réfugièrent à Bassorah où ils restèrent jusqu’à l’invasion de 2003 qui renversa Saddam Hussein. Or, dans le prolongement du renversement de la dicature baathiste, un regain d’agitation toucha la province, surtout depuis le début de l’année 2005, et on ne peut exclure que cela fût en relation indirecte avec la situation prévalant en Irak.
Il y avait eu le précédent constitué par les émeutes qui s’étaient produites à Abadan et à Khorramshar en juillet et septembre 2000 à propos d’un problème d’eau potable mais aussi de conditions de vie déplorables en termes de logement et de subsistance. L’opinion locale avait alors reproché aux autorités de privilégier la construction de mosquées au détriment d’hôpitaux et d’écoles qui ne disposent pas des fonds de fonctionnement suffisants. Or le Khuzestan connaît le troisième taux de chômage le plus important en Iran. Alors que le pays avait d’ambitieux projets éducatifs pour son voisin, l’Irak (avec la construction envisagée de 3 000 écoles), l’illétrisme dans cette province iranienne reste très important alors qu’il a quasiment disparu dans le reste du pays. Cette région a en outre gardé des séquelles profondes de la guerre Iran-Irak, et sa reconstruction n’a jamais réellement été une priorité du pouvoir central. Et alors que le Khuzestan manque cruellement d’eau pour sa population et pour l’activité agricole, le pouvoir central n’en a pas moins poursuivi la politique du Shah de drainage vers d’autres régions. Or le sujet de l’eau est assez sensible pour pousser la population locale à critiquer ouvertement les autorités, et à manifester de manière récurrente.
De fait, en avril 2005, de nouvelles émeutes au Khouzistan devaient, selon les sources officielles, causer la mort d’une vingtaine de personnes et en blesser une centaine. En réalité, ce sont sans doute plusieurs dizaines de personnes qui auraient été tuées et plusieurs centaines d’autres blessées dans des affrontements qui avaient duré une semaine dans plusieurs villes du Khouzistan dont les communications avaient été coupées par les autorités. Dans le prolongement de ces émeutes, les autorités avaient procédé à l’arrestation préventive de près de 300 personnes. Amnesty International avait même fait état d’un certain nombre d’exécutions extra-judiciaires de la part des Gardiens de la révolution. Les troubles s’étaient produits dans le prolongement de la publication d’un document attribué à l’ancien chef du bureau présidentiel, le vice-president Muhammad Ali Abtahi, un document qui fut d’abord présenté comme officiel mais ensuite dénoncé par les autorités comme un « faux ». Ce document aurait concerné la politique supposée de Téhéran, accusée de chercher à modifier en profondeur la composition ethnique de la population du Khouzistan au profit des Persans délibérément privilégiés en termes d’emploi, et donc au détriment des Arabes [77]. Il avait évidemment attisé la colère des Arabophones dans la mesure où il laissait supposer l’existence d’un plan pour « iraniser » et/ou « désarabiser » la province. Une accusation formulée par Mansour Ahmad al-Ahwazi, le président du Popular Democratic Front for the Ahwazi Arab People/Jabhah al-Dimuqratiyah al-Sha’biyah li’l-Sha’b al-’Arabi al-Ahwazi)/Front démocratique populaire d’Ahwaz, lequel milite ouvertement pour un Khouzistan indépendant et dont l’emblème est un faucon rouge apposé sur une étoile à cinq branches verte.
Le 24 juillet 2005, encore à Ahvaz, la principale ville de Khouzistan, des affrontements violents avaient de nouveau éclaté entre des manifestants hostiles à la République islamique et les forces de l’ordre. Des slogans hostiles au pouvoir auraient été scandés, réclamant la fin de la « ségrégation ethnique ». Les policiers et agents des renseignements auraient alors procédé à de nombreuses arrestations, ce qui aurait poussé les manifestants à attaquer les véhicules de ces derniers et à libérer une partie des détenus emprisonnés. Les manifestants auraient monté des barricades dans plusieurs rues en brûlant des pneus. Plusieurs véhicules de police et des banques publiques auraient été incendiés. C’est à ce moment que les forces de sécurité auraient ouvert le feu sur la foule, faisant plusieurs blessés. Ahvaz avait dû être mise sous un couvre-feu partiel justifié par une multiplication des attentats.
Une série d’attentats à la bombe, imputés à la guérilla arabe du Khouzistan en partie regroupée dans le mouvement Nahda (« Renaissance ») avait eu lieu peu avant les élections présidenteilles iraniennes du 17 juin 2005. Politiquement incarné par le Parti Arabe de la Renaissance Ahwazie/Ahwazi Arab Renaissance Party/Hizb al-Nahda al-Arabi al-Ahwazi et créé avec le soutien initial de la Syrie baathiste et maintenant basé au Canada, ce mouvement dont le drapeau à trois bandes horizontales rouge, blanc, noire, porte l’inscription Allah Akhbar (« Dieu est grand ») représenterait formellement une coalition de plusieurs groupes séparatistes - parmi lesquels certains groupuscules comme le Mouvement de la nation arabe d’Al-Ahwaz-Jabhat Tahrir Ahwaz/Mouvement populaire arabe de l’Arabistan ou encore le Conseil révolutionnaire d’Al-Ahwaz/Ahwaz Revolutionary Council [78].
Une première attaque s’était produite le 8 juin. Elle avait visé les installations pétrochimiques de Karoun, à l’Est de la ville d’Ahwaz. Le 11 juin, le président sortant Mohammad Khatami s’était rendu en personne dans la région rebelle pour évaluer les dommages. Juste après son départ, la guérilla avait fait exploser quatre bombes - dont l’une au moins pourrait avoir été un attentat-suicide - visant pour la première explosion, la délégation locale de l’organisation du plan, pour la deuxième, le siège du gouverneur de la région (équivalent de la préfecture), pour la troisième, le bâtiment du ministère du Logement et pour la quatrième, la maison du directeur de la radio-télévision d’Etat à Ahvaz. Le bilan devait finalement s’élever à au moins huit morts et trente-cinq blessés.
Les premiers commentaires officiels parlaient d’actes dirigés contre « l’intégrité territoriale » de l’Iran, faisant référence à la diversité ethnique de la province et du pays. Le Front démocratique populaire d’Ahwaz avait, depuis Londres, immédiatement démenti toute responsabilité dans ces attentats et accusé le régime de Téhéran de les avoir organisés pour discréditer les revendications indépendantistes des Arabophones. Se démarquant délibérément du Front démocratique populaire d’Ahwaz, un « Mouvement de lutte armée des Arabes d’Ahwaz » avait revendiqué le 16 juin suivant dans une vidéo mise en ligne sur un site internet, la série d’attentats à la bombe perpétrés à Ahvaz. Le groupe, qui se faisait appeler Arab Front for the Liberation of Al-Ahwaz (AFLA)/Mouvement de lutte arabe pour la libération d’Ahwaz (MNLA), une des trois composantes de l’Ahwaz Liberation Organisation (ALO)/Mouvement de Libération d’Ahwaz (MLA) dont le bras armé est connu sous le nom de l’Ahwaz Popular Army (APA)/Armée populaire d’Ahwaz (APA), avait affirmé que l’un des attentats, montré dans la bande vidéo, avait été mené par une certaine « Brigade du martyr Moheddine Al-Nasser », du nom d’un membre du groupe, exécuté le 6 juin 1964 dans la ville. L’enquête des autorités avait par la suite conduit à l’arrestation de centaines de leaders tribaux de la communauté arabe du Khouzistan, relâchés peu après leur avoir donné plusieurs centaines de milliers de dollars contre leur engagement de renoncer à toute activité subversive anti-gouvernementale [79]. Cela ne devait manifestement pas suffire.
Le 3 septembre 2005, trois bombes détruisaient des oléoducs reliant Ahvaz à la raffinerie d’Abadan - celle qui fut la première raffinerie du monde au début du XXème siècle et qui demeure la principale raffinerie iranienne dotée d’une capacité de 450 000 b/j et représentant 30 % de la capacité totale de raffinage de l’Iran -, provoquant une interruption de l’approvisionnement de pétrole à partir de cinq puits.
Le 15 octobre 2005, deux bombes artisanales placées dans les poubelles d’un centre commercial du centre d’Ahvaz avaient encore fait six morts et quatre-vingt dix blessés. Les autorités avaient imputé les violences à des « groupes séparatistes » et laissé entendre que ceux-ci avaient pu recevoir un entraînement à l’étranger. Comme l’avait fait remarquer Nasser Bani Assad, le porte-parole de la British Ahwazi Friendship Society, un certain nombre de leaders tribaux arabes d’Ahvaz avaient été recrutés par le pouvoir central pour assurer la sécurité des installations pétrolières dont ils connaissaient les moindres faiblesses. Or, selon lui, certains des membres de ces tribus auraient pu être partie prenante des attaques qui avaient visé les installations qu’ils étaient censés surveiller. Le même porte-parole parlait d’ailleurs ouvertement d’une Intifada (« soulèvement, insurrection ») ahwazie pour décrire la situation qui prévalait alors dans la province. La plupart des mouvements d’opposition arabophones en exil avaient toutefois refusé de cautionner les actes de terrorisme imputés aux séparatistes mais l’actuel National Liberaton Movement of Ahwaz (NMLA)/Mouvement de libération nationale d’Ahwaz (MLNA) - lequel mouvement dispose d’une station par satellite Ahwaz TV - est considéré comme promouvant la lutte armée contre Téhéran [80]. Ce qui expliquerait que l’agitation se fût amplifiée. Et la guerre secrète des services iraniens à l’étranger également [81].
Le 16 octobre 2005, le pipeline du Khouzistan à Maroun avait encore été l’objet d’une explosion stoppant une nouvelle fois l’écoulement d’un des principaux oléoducs iraniens. C’est à cet endroit qu’avait déjà eu lieu la précédente explosion sur ce pipeline reliant Abadan à Mahsahar. Au même moment, deux bombes explosaient à Ahwaz, faisant six tués et une centaine de blessés.
Après ces attentats, revendiqués au nom de trois groupes séparatistes arabes, les autorités de Téhéran avaient explicitement accusé Washington et Londres de chercher à « attiser les tensions ethniques et religieuses » au Moyen-Orient. Les forces de sécurité avaient en tout cas procédé à plusieurs arrestations, et dix personnes allaient être incriminées pour leur participation supposée aux attentats d’Ahwaz, accusées d’être des Moharebeh - terme religieux désignant une personne qui « mène une guerre contre Dieu », une incrimination passible de la peine de mort - etde fait condamnées à mort par pendaison. Mais la tension devait s’accroître avec une recrudescence des attentats à partir du début de l’année 2006 au Khouzistan. Le 24 janvier, deux attentats à la bombe avaient en effet une nouvelle fois ébranlé la ville d’Ahvaz où le président Mahmoud Ahmadinejad devait se rendre, avant que sa visite ne fût, au dernier moment, annulée officiellement « pour mauvais temps ». Il semblerait que les attentats visaient le président iranien Mahmoud Ahmadinejad. La télévision nationale avait parlé de plusieurs morts dans les explosions, qui avaient visé une banque et un bâtiment administratif. Il y aurait eu neuf morts et une cinquantaine de blessés. Le 28 février suivant, de nouveaux attentats à la bombe furent perpétrés dans les bureaux des gouverneurs des villes pétrolières d’Abadan et de Dezful. Afin de bien montrer qu’elles n’entendaient pas faire preuve de la moindre indulgence, les autorités iraniennes réagirent par une répression brutale. Trois « activistes » arabes qui avaient été accusés d’avoir participé aux attentats à la bombe dans cette ville en février, étaient pendus le 28 février 2006 dans la prison de Karoon de la ville pétrolière d’Ahvaz.
Fait très rare, le « Guide » devait faire un déplacement au Khouzistan, fin mars 2006, au cours duquel il prononça un vibrant discours en langue arabe pour louer le patriotisme iranien de la population arabe locale. Les raisons de ce déplacement renvoyaient largement à la dégradation de la situation sur place depuis le début de l’année 2006. Ce discours a été tenu le 25 mars 2006 lors d’une rencontre qui s’est déroulée dans la région de Dehlaviyeh, au Sud de la province du Khouzistan, avec plusieurs centaines d’habitants arabophones des tribus de Dasht-e-Azadegan, Sousangert, Bostan, Hamidiyeh et Howayzeh : « Maintenant je voudrais parler à mes frères et sœurs dans cette langue arabe que j’apprécie. J’entends d’abord exprimer mon plaisir de me trouver dans cette région auprès de mes dignes frères et sœurs arabophones, et de me remémorer ici certains moments intenses et précieux. Il convient de rappeler ici à votre propos, citoyens Iraniens arabophones, que j’ai été le témoin de la grandeur de votre djihad et de vos immenses sacrifices durant les années de la guerre sacrée. C’est ici, dans cette région immaculée, que j’ai vu des hommes et des femmes emplis de foi, de conscience et de bravoure qui ont permis d’affronter les blindés et l’artillerie ainsi que les misérables laquais du régime baathiste et de faire échouer les complots et les machinations ennemis. Les habitants de cette région sont bien connus pour leur amour et leur dévotion à la descendance du Prophète (le salut soit sur lui) et pour leur loyauté pour leur patrie islamique et ils peuvent être considérés comme une inexpugnable forteresse pour la défense des frontières du pays. Cette réalité est corroborée par le djihad et le combat des habitants de cette région contre les colonialistes britanniques et leurs mercenaires ainsi que par leur glorieuse résistance et leur sacrifice pour la préservation de la Révolution islamique, pour le salut et l’indépendance et l’honneur de leur pays. Il y a dix ans, lorsque j’ai rencontré à Ahvaz nos chers et dignes frères des localités d’Hamidiyeh, de Sousangerd, de Shadegan, de Hovayzeh et d’autres régions de la province du Khouzistan, je me suis remémoré les mêmes souvenirs, des souvenirs qui ont également été perpétués dans les poèmes des poètes de la région et qui ont été écoutés par toutes les autres nations arabes. Aujourd’hui, je suis heureux d’avoir une fois encore l’opportunité de rencontrer un certain nombre de mes compatriotes arabophones. Aujourd’hui, alors que je me remémore ces souvenirs du passé, je peux également discerner un brillant futur pour une région particulièrement fière de notre patrie islamique (…) Comme vous le savez tous, l’Iran est confronté à un certain nombre d’ennemis qui ne veulent pas que notre pays connaisse un progrès qui soit à la mesure de sa grandeur. Ils fomentent également des complots, en favorisant l’insécurité et la déstabilisation interne du pays, afin d’empêcher la mise en œuvre des projets de construction ainsi que le progrès et le développement de notre pays et afin de confronter le gouvernement à différents problèmes. La présence des occupants britanniques dans les provinces irakiennes relevant des villes de Bassorah et Amara (les provinces de Basrah et de Maysan), au regard de l’hostilité britannique avérée et des actions iniques contre la nation iranienne commis sur les deux derniers siècles, sert de base à ces agresseurs pour fomenter leurs complots et leurs machinations. Mais la nation iranienne et son gouvernement, et tout spécialement les habitants zélés de la province du Khouzistan, sauront déjouer ces complots et, avec l’aide d’Allah, retourner les stratagèmes et action iniques de ces ennemis contre eux-mêmes. Je prie Allah le miséricordieux, de délivrer les Irakiens de ces occupants maléfiques. Je prie également Allah de restaurer l’honneur, la dignité et le progrès des deux nations d’Iran et d’Irak sous la bannière de l’islam et la lumière de la dévotion du saint Prophète de l’islam et de sa noble descendance (la paix et le salut soient sur eux). Le salut soit sur vous ainsi que la miséricorde et la bénédiction d’Allah » [82]. L’enjeu de cette région réside dans le fait qu’elle demeure la principale province pétrolière du pays - la majorité des champs pétroliers se situent à proximité de la frontière iranienne et du golfe Persique avec 32 champs dont 25 on-shore et 7 off-shore -, et donc « Talon d’Achille » de l’Iran du fait de sa population, certes majoritairement chiite sur le plan confessionnel, mais ethniquement arabe. Une province qui peut être, à bien des égards, considérée comme une sorte de « Koweït intérieur ». Aussi n’est-ce pas un hasard si un incendie criminel avait touché, le 19 février 2007, la raffinerie de Téhéran, hypothéquant ainsi lourdement la production de carburant en Iran.
Dans ce contexte de tensions renouvelées, et sans nécessairement souscrire à la théorie du complot, il est néanmoins intéressant de faire état d’une interview en date du 2 mai 2010 accordée à Hiwar TV par Mahmoud Ahmad Al-Ahwazi, le leader du « Front démocratique populaire arabe d’Al-Ahwaz » basé à Londres, à l’occasion du 85ème « anniversaire » de l´annexion par l’Iran de la région d´Ahwaz, considérée comme occupée par sa population, qui estime qu´elle doit être restituée aux Arabes. Mahmoud Ahmad Al-Ahwazi réfute d’emblée l’idée que son mouvement serait seulement un mouvement d’opposition interne : « Nous ne sommes pas [un mouvement d’] opposition. Nous sommes des libérateurs. L´opposition, ce serait un groupe iranien voulant changer de régime ». Il se considère au contraire comme un mouvement de libération : « Nous voulons débarrasser notre pays de l´occupation [iranienne]. Nous voulons rétablir les droits de notre peuple - nos droits culturels, économiques, politiques et sociaux. Tout nous est refusé ». Les revendications de son mouvement apparaissent alors on ne peut plus claires : « Nous exigeons nos pleins droits sur le territoire d’Al-Ahwaz dans son intégralité. C’est le droit des Arabes ». Allant encore plus loin quant à savoir s’il réclame la sécession de la région, il explicite son propos : « L’indépendance, pas de séparation. Nous n’avons jamais été une partie de l’Iran ; comment pourrions-nous nous en séparer ? Nous étions un peuple libre avant même que l’Iran ne soit libéré ». Et d’ajouter faussement sibyllin, voire menaçant : « Jusqu’à aujourd´hui, le Front n’a pas eu recours aux armes. Nous intervenons sur le plan politique, en organisant des activités chez nous et à l’étranger, et en promouvant la cause ahwazie dans tous les forums. Toutefois, en aucun cas n’excluons-nous le recours aux armes. La résistance armée est le droit du peuple arabe d’Al-Ahwaz, et nous soutenons toute autre organisation armée. Pour des raisons stratégiques, le Front pourrait, à tout moment, recourir à la résistance armée contre le régime iranien ». Et lorsqu’on lui fait remarquer que cela reviendrait à priver l’Iran de 90 % de ses ressources naturelles, Mahmoud Ahmad Al-Ahwazi rétorque : « Monsieur, je n’entends pas priver l’Iran de ses ressources. Je veux récupérer mes propres ressources. Si des négociations politiques avec le régime iranien étaient possibles, nos prédécesseurs auraient négocié. Si seulement les téléspectateurs avaient vu toutes les exécutions, les tortures, les meurtres de femmes et d´enfants innocents, la famine imposée, l’assèchement des rivières, la destruction de l’agriculture, le pillage du pétrole, du gaz naturel et des autres ressources » [83].
Il demeure que la province n’avait plus connu d’accès de violence jusqu’à l’année 2018. Un attentat était survenu le 22 septembre 2018, à Ahwaz, chef-lieu de la province du Khouzistan, pendant un défilé du Corps des Gardiens de la Révolution à l’occasion de la célébration de la « Semaine de la Défense sacrée » commémorant le début de la Guerre Iran-Irak. Cet attentat avait fait 29 morts dont 24 Gardiens de la Révolution et civils ainsi que cinq « terroristes » et plus de 60 autres blessés : on dénombrera parmi eux des membres des Gardiens de la révolution, des Bassidji, des vétérans de la guerre Iran-Irak (1980-1988) dont un certain Hosein Monjazi, invalide de guerre (il a perdu un bras et une jambe sur le champ de bataille), de jeunes conscrits effectuant leur service militaire obligatoire dans la région, ainsi qu’un enfant de 4 ans, Mohammad Taha. L’image de son cadavre à côté de son fauteuil roulant avait profondément choqué l’opinion iranienne, toutes origines confondues, générant une forme d’« Union sacrée ». De fait, comme le relève Didier Chaudet, « le ralliement des Iraniens autour du drapeau ne signifie pas forcément repli ethnique et chauvin : il existe en Iran un patriotisme qui dépasse largement, au moins en théorie, la définition ethnique » [84]. Quelques heures plus tard, cet attentat meurtrier aurait été revendiqué selon Téhéran par un groupsucule dénommé Al Ahwaziya, désignant ainsi la mouvance sépératiste arabe dans cette province, éclatée en divers groupes, en référence aux aspirations identitaires de la population arabophone majoritaire du Khuzistan dont une partie souhaite ouvertement l’autonomie, sinon la sécession, de cette province qualifiée par ces activistes d’Al-Ahvaz. Le porte-parole de ce groupuscule d’Al-Ahwaziya aurait déclaré dans un entretien avec la chaîne de télévision Iran international TV que l’attaque en question constituait une réponse à la répression des Iraniens arabophones de la ville d’Ahwaz : « Nous n’avons pas d’autre choix que la résistance ! La résistance nationale d’Ahwaz a mené les opérations d’aujourd’hui contre le CGRI et les forces militaires de la République islamique ». Iran International TV, lancée en mai 2017 et basée à Chiswick, avait ainsi été le premier média en langue persane à s’entretenir avec un certain Yacoub Hor al-Tostari, porte-parole attitré du « Mouvement de lutte arabe pour la libération d’Ahwaz », après l’attaque du 22 septembre 2018. Des questions ont à cette occasion été soulevées concernant le financement du réseau et ses liens avec l’Arabie saoudite ainsi que les Emirats Arabes Unis [85]. Elles sont récurrentes depuis plusieurs années mais avaient repris de la vigueur avec la politique menée par l’Administration Trump et ses alliés du Golfe [86].
Mais une certaine confusion a présidé quant à la responsabilité de cet attentat puisqu’il avait fait l’objet d’une seconde revendication quasi-simultanée de la part de Daech. Abul-Hasan Al-Muhajir, le porte-parole de l’« Etat islamique »/Daech, avait en effet publié un message vantant la responsabilité de son organisation dans l’attaque du 22 septembre 2018 à Ahvaz, en Iran : « Un groupe d’hommes de Khilafah [Califat auto-proclamé de Daech] et de gardiens de la croyance au pays de Perse ont défendu leur religion, agissant pour dissuader et réprimer leur ennemi et pour remplir la promesse de l’État islamique à tous ceux qui ont le sang de Ahlus-Sunnah[sunnites] sur leurs mains », indiquait Abul-Hasan Al Muhajir. En précisant : « Ils ont violé l’une des tours de l’Etat de Majusi, par la grâce et la faveur d’Allah, et ont porté l’épée de la vérité sur le cou de la populace de l’Etat iranien, ainsi que de sa garde révolutionnaire. Ils défilaient et montraient leur arrogance, entourés de leurs forces de sécurité au cœur de leur territoire au pays d’Ahvaz ». Le mot Majusi est probablement une référence aux Zoroastriens, c’est-à-dire aux adhérents d’un système de croyances autrefois dominant en Perse. En utilisant ce mot pour décrire les Iraniens, Abul-Hasan Al Muhajir cherche à les stigmatiser pour laisser entendre qu’ils ne seraient somme toute pas de vrais musulmans. Et de poursuivre : « Ils ont tué et massacré leurs soldats » et « ont laissé les dirigeants de Majusi et les serviteurs du sanctuaire stupéfaits ». Pour conclure : « Ils les ont laissés dispersés, ont brisé la crainte de leur garde révolutionnaire, qui est redoutée par l’Amérique et les gouvernements de la région, et ont forcé les dirigeants de Majusi à lancer des accusations au hasard, à tel point qu’ils se moquaient de l’Est et de l’Ouest ».
Abul-Hasan Al Muhajir fait référence au fait que les Iraniens ont d’abord accusé, comme ils le font régulièrement en cas d’attentat, des groupuscules terroristes qui seraient soutenus par certains Etats du Golfe avec l’aval des Etats-Unis. Il entend donc préciser que ce sont cuex qui ont prêté allégeance au Calife [auto-proclamé] Abu Bakr al-Baghdadi qui étaient responsables de l’attaque à Ahvaz - et non des groupes rivaux luttant contre le pouvoir iranien. De fait, le mode opératoire de l’attaque d’Ahvaz ne correspond pas à celui des séparatistes du Khouzestan, dont la méthode estplutôt de poser des bombes et/ou de faire des opérations éclair ».
Abul-Hasan Al Muhajir menaçait enfin de nouvelles attaques à l’intérieur de l’Iran :[Les Iraniens] « ne se sont pas encore réveillés du choc horrible, et avec la permission d’Allah, ce ne sera pas la dernière ». […] « Les fils de Khilafah, avec le succès accordé par Allah, ont démontré à quel point la sécurité de l’Etat de Majusi en Iran est faible et fragile, car elle est plus faible que celle d’une araignée et avec la puissance d’Allah sera pire et plus amère ».
L’Agence de presse Amaq de l’« Etat islamique »/Daech avait initialement publié plusieurs courtes déclarations écrites, avant de produire finalement une vidéo montrant les terroristes responsables des meurtres et dans laquelle l’un des terroristes parle en persan alors que les deux autres s’expriment en arabe. Selon les autorités iraniennes, les auteurs de l’attentat ont ainsi été identifiés comme s’appelant Ayad Mansouri, Fouad Mansouri, Ahmad Mansouri, Javad Sari et Hassan Darvichi. Pour les quatre premiers, le ministère des Renseignements iranien avait publié la photo d’un cadavre, mais pour le cinquième, la photo publiée était celle d’une capture d’écran d’une vidéo publiée par l’« Etat islamique »/Daech montrant trois hommes présentés comme ayant participé à l’attentat. Les trois hommes identifiés par le même nom de famille Mansouri seraient deux frères et un cousin. Dans un message sur Twitter, le directeur général du quotidien ultraconservateur Javan (« Jeune ») Abdullah Ganji, avait indiqué que les deux frères en avaient un autre qui aurait été tué dans un attentat suicide en Syrie.
Plus d’une vingtaine de personnes avaient été arrêtées dans le cadre de l’attentat meurtrier d’Ahvaz établissant un lien entre les assaillants et le groupe djihadiste sunnite « Etat islamique »/Daech. Les autorités avaient publié les photos et les noms des assaillants sur le site internet du VEVAK, le ministère des renseignements iraniens, et affirmé que ceux-ci étaient affiliés « à des groupes séparatistes takfiris soutenus par des pays arabes réactionnaires ». Le terme de takfiri (« ceux qui prônent l’anathème » sur les autres musulmans) est précisément utilisé par les autorités iraniennes pour désigner les djihadistes sunnites. De fait, le mode opératoire de l’attaque d’Ahvaz ne correspond pas à celui des séparatistes du Khouzistan, dont la méthode « était de poser des bombes ou de faire des opérations éclair », relevait le même Abdullah Ganji dans un article publié le 25 septembre 2018 par Javan. « Tuer jusqu’à ce que vous soyez tués sans quitter les lieux, c’est la méthode de Daech » ajoutait-il, mettant en garde contre une dérive « idéologique » de certains groupuscules séparatistes vers le djihadisme. Une évolution qui était déjà apparue lors des attentats perpétrés, le 7 juin 2018, en plein cœur de Téhéran. Le 24 septembre précédent, le guide suprême iranien, l’Ayatollah Ali Khamenei, avait établi un lien explicite entre les auteurs de l’attentat d’Ahvaz et les groupes djihadistes opérant « en Syrie et en Irak » non sans les accuser d’avoir été « financés par les Saoudiens et les Emirats Arabes Unis ». Le jour même de l’attaque, le président iranien Hassan Rohani avait en tout cas promis une réponse « terrible » et les Gardiens de la révolution avaient annoncé une « vengeance inoubliable » à brève échéance.
Mettant ces menaces à exécution, Téhéran avait lancé une attaque de représailles à l’attentat du 22 septembre 2018 sur la région de Boukamal (Est de la Syrie), près de la frontière irakienne. L’opération intitulée « Frappe de Moharram » (le mois du deuil musulman, alors en cours et particulièrement célébré dans l’Iran chiite) aurait été menée par la branche aérospatiale des Gardiens de la Révolution. Six missiles balistiques de moyenne portée auraient été tirés à partir de l’Ouest de l’Iran à 02H00 du matin (23H30 GMT) et l’attaque aurait porté un « coup fatal, à 570 kilomètres de distance ». La télévision d’Etat iranienne a indiqué que les missiles avaient été tirés à partir de la province de Kermanshah, frontalière de l’Irak et qu’ils avaient frappé la localité de Hajin, à environ 20 kilomètres au Nord de la ville de Boukamal. Les Gardiens de la Révolution avaient déclaré que la frappe de missiles avait été suivie d’une frappe effectuée par sept drones de type Saegeh (« éclair ») contre les installations des terroristes et que « de nombreux terroristes [djihadistes] et les chefs responsables du crime...
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