minorités ethno-confessionnelles à l’Iran (I/VI)

 

 
 
 
David RIGOULET-ROZE | Docteur en Sciences politiques, enseignant et chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)
 
David Rigoulet-Roze fait le point sur la question « ethno-confessionnelle » qui passe généralement "sous nos radars". Il s’agit pourtant d’une variable non-négligeable de la problématique étatique iranienne. « Etat-mosaïque », l’Iran se trouve dans un dilemme permanent.
L’auteur présente successivement le statut des minorités « ethno-confessionnelles » dans la Constitution de la République islamique du 24 octobre 1979 ; puis la multiplication récente d’attentats en lien avec des revendications identitaires dans les provinces périphériques de l’Iran. 
 

Iran. Quelles revendications des minorités ethno-confessionnelles ?

Par David RIGOULET-ROZE, le 5 mars 2023, diploweb

David Rigoulet-Roze est Docteur en Sciences politiques, enseignant et chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), ainsi que Rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques (L’Harmattan). Il est spécialiste de la région du Moyen-Orient et a notamment publié Géopolitique de l’Arabie saoudite : des Ikhwans à Al-Qaïda, en 2005, aux Editions Armand Colin ainsi que L’Iran pluriel : Regards géopolitiques, en 2011, aux Editions L’Harmattan. Il a co-dirigé l’ouvrage collectif intitulé La république islamique d’Iran en crise systémique : quatre décennies de tourments, publié en 2022, aux Editions L’Harmattan. Il a également publié dans plusieurs revues dont la revue France-Forum, la Revue Diplomatique ou encore la revue Conflits. Il assure par ailleurs depuis plusieurs années un cours de Sciences politiques à l’Université de Cergy-Pontoise.

Alors que l’Iran est depuis plusieurs mois dans une phase de contestation, David Rigoulet-Roze fait le point sur la question « ethno-confessionnelle ». Il s’agit d’une variable non-négligeable de la problématique étatique iranienne. « Etat-mosaïque », l’Iran se trouve dans un dilemme permanent.

L’auteur présente successivement le statut des minorités « ethno-confessionnelles » dans la Constitution de la République islamique du 24 octobre 1979 ; puis la multiplication récente d’attentats en lien avec des revendications identitaires dans les provinces périphériques de l’Iran. Ces attentats nombreux et récurrents passent généralement "en dessous de nos radars".

« Roi de la multitude, seul maître de la multitude, je suis Darius le Grand Roi, Roi des rois, le Roi des pays de toutes ethnies [dahyâva signifiant peuples, sing. dahu] », stèle du tombeau de l’empereur Darius Ier le Grand (522-486), à Naqs-i-Rustam, ancienne Suse (actuelle Sush dans la province du Khouzistan) [1].

DEPUIS plusieurs années, la question toujours sensible pour un Etat centralisé - des minorités « ethno-confessionnelles » est ostensiblement revenue sur le devant de la scène intérieure iranienne, parallèlement à la multiplication coïncidente d’attentats imputables, de manière supposée ou avérée, à des groupes opérant souvent depuis les périphéries internes de la République islamique d’Iran. C’est notamment le cas du Sud-Ouest, dans la région du Khouzestan peuplée majoritairement d’Arabophones au contact direct de l’Irak arabe voisin. Mais aussi du Sud-Est, dans la province majoritairement sunnite du Baloutchistan iranien au contact de son vis-à-vis constitué par le Baloutchistan pakistanais. Voire du Nord-Ouest, avec le Kurdistan iranien jouxtant tout l’hinterland kurde à cheval sur l’Irak et la Turquie. Cette question « ethno-confessionnelle » est, de fait, récurrente dans l’Histoire de l’Etat iranien quelle que soit sa forme, impériale ou républicaine, même si les modalités de l’appréhender peuvent connaître des variations souvent plus superficielles qu’on ne le pense parfois comme si, par-delà la politique et ses vicissitudes, une forme de logique centripète devait toujours primer sur les forces centrifuges pour assurer la pérennité de cet Etat iranien transhistorique.

Et ce n’est pas un hasard si le mouvement de contestation qui a débuté le 16 septembre 2022 par le décès tragique de Mahsa Amini, en réalité Jina Amini, une kurde sunnite originaire de la ville de Saqqez, s’est particulièrement développé dans le Kurdistan (Nord-Ouest de l’Iran) qui fait l’objet d’une répression féroce de la part du corps des Gardiens de la Révolution (Pasdarans). Comme du reste une autre périphérie sensible, à savoir le Sistan-Baloutchistan (Sud-Est) où le viol, par le chef de la police de Chabahar, ville portuaire de la même province, d’une adolescente de 15 ans appartenant à la minorité sunnite baloutche, avait provoqué le 30 septembre 2022 des émeutes réprimées dans le sang, à l’origine d’un « vendredi sanglant » dans la ville de Zahedan causant la mort de près de 90 personnes dont des femmes et des enfants. L’ONG Iran Human Rights (IHR) basée à Oslo (Norvège), a annoncé le 28 décembre 2022 que le bilan des manifestations qui ont éclaté suite à la mort de la jeune Mahsa (Jina) Amini jeune femme aux mains de la police des mœurs, s’était alourdi à 476 morts. C’est ce qu’a affirmé un rapport publié sur le site officiel de l’ONG, précisant que parmi les manifestants tués lors de ces événements, 34 femmes et 64 autres ont moins de 18 ans. Selon le rapport susmentionné, 130 personnes auraient été tuées dans la province majoritairement sunnite du Sistan-Baloutchistan, 53 au Kurdistan, et 55 en Azerbaïdjan occidental, soit une écrasante majorité dans les provinces ethno-confessionnelles périphériques du pays ce qui ne relève pas forcément du hasard, tant le pouvoir central a la hantise d’une dynamique centrifuge censée, dans le discours du régime, être instrumentalisée de l’extérieur.

I. Le statut des minorités « ethno-confessionnelles » dans la constitution de la République islamique du 24 octobre 1979

A. Une République islamique « héritière » de la Perse pluri-millénaire

Le fait est que ladite République islamique actualise à sa manière la représentation géopolitique « persane » plurimillénaire. Cette dernière a d’ailleurs, quoiqu’elle en dise, largement perpétué le pouvoir des « Persans » au détriment des minorités « ethniques » [2], à savoir non-perses - on dirait « nationales » dans le vocabulaire occidental fortement connoté historiquement par la dynamique des « nationalités » au XIXème siècle - c’est-à-dire de populations diverses présentes en Iran déjà à l’époque achéménide, et qui ne sont pas nécessairement apparentées au peuple persan. Il n’est pas anodin de rappeler que Darius Ier le Grand (522-486) s’était d’emblée considéré comme l’instrument de l’unité d’un monde dont on soulignait déjà la grande diversité ethnique. Darius s’était présenté en ces termes : « Roi de la multitude, seul maître de la multitude, je suis Darius le Grand Roi, Roi des rois, le Roi des pays de toutes ethnies ». Le pouvoir des rois achéménides s’exerçait à la fois sur la terre (bûmi) et les peuples (dahyâva, sing. dahyu). Mais tous les espaces de l’empire n’étaient pas mis sur le même plan. Le pouvoir émanait d’un centre et rayonnait sur les périphéries. La représentation de l’Empire se faisait en quelque sorte par cercles concentriques. Le centre était constitué par les pays des anciennes capitales (Pasargades, Ecbatane, Persépolis, Suse), correspondant à l’antique Médie, l’Elam, la Perse. Dans cet ensemble se détachait le sous-ensemble arya (Mèdes et Perses confondus). Mais au sein de l’ensemble iranien, la Perse occupait évidemment une place privilégiée, celle du peuple conquérant. Et, au centre de cet ensemble de cercles concentriques, c’était bien le Grand Roi qui était seul détenteur du pouvoir [3].

Cette problématique s’applique à l’Etat longtemps dénommé Perse et ensuite appelé Iran (signifiant littéralement « terres des Aryens) [4] depuis sa renomination ordonnée, le 21 mars 1935, par Reza Shah Pahlavi (1925-1941) qui imposa de remplacer le nom de « Perse » par celui d’« Iran » pour désigner désormais son pays, le nom officiel devenant alors l’Etat impérial d’Iran jusqu’à l’avènement de la République islamique d’Iran en 1979. Comme le rappelle Jean-Paul Burdy, il s’agissait de renforcer une identité nationale iranienne susceptible d’englober la totalité des populations dans leur diversité ethnique, linguistique et religieuse. « Les vecteurs de cette intégration [étaient] classiques : armée nationale de conscription, scolarisation, généralisation de l’usage de la langue persane, idéologie de la fierté nationale insistant sur l’ancienneté de l’Etat perse, etc. Le régime du dernier shah avait pratiqué une politique de répression en la matière à l’égard des minorités non soumises : répression de l’agitation kurde en conjonction avec la politique turque en la matière, ‘iranisation’ des patronymes et toponymes » [5].

Ceteris Paribus, on retrouve cette logique à l’œuvre aujourd’hui, et ce, alors même que l’Iran est devenu musulman depuis le VIIème siècle et que l’islam fait théoriquement abstraction de toute considération « ethnicisante ». Cela n’empêche pas qu’historiquement parlant, le Dar al-Islam (« Monde de l’Islam ») a connu une tension constante entre la diversité des Etats à base plus ou moins « ethnique » (al-aqwan en arabe pouvant peu ou prou désigner les différents êtres existants et/ou des sociétés présentes dans le monde temporel) et politiquement indépendants d’une part, et l’unité supposée d’une Oumma censée transcender ce que les musulmans eux-mêmes qualifient d’iqlimyat al-islam (le « régionalisme de l’islam ») d’autre part. Selon les préceptes de l’islam, il n’existe théoriquement pas de différence essentielle entre les musulmans qui parlent des langues différentes, que ce soit le persan, l’arabe ou toute autre langue. On pourrait presque aller jusqu’à parler d’un déni, dans l’islam, de l’existence des « minorités ethniques » [6] (berbères ou autres). Toute propagande destinée à promouvoir une forme résolument moderne de « nationalisme ethnique » serait même perçue comme un mouvement séditieux alimentant la fitna (la « division », le « conflit » voire la « guerre ») au sein de la Oumma [7].

B. La question des minorités « ethno-linguistiques »

Il est notable que c’est un point sur lequel insiste ostensiblement, dans son article 11 [8], la loi fondamentale faisant office de Constitution de la République islamique d’Iran - Constitution ratifiée le 24 octobre 1979 et soumise à référendum les 2 et 3 décembre 1980 [9]. Elle se veut intégratrice. Ainsi, la loi fondamentale iranienne prend-t-elle en considération la place des minorités ethno-linguistiques : l’article 15 stipule que « le persan est le langage et l’écriture officielle de l’Iran (…) et que l’utilisation des langues régionales et tribales dans la presse et les médias, aussi bien que l’enseignement de leur littérature à l’école, est permis en plus du persan ». L’article 16 complète cette disposition en reconnaissant la place spécifique de l’arabe : « Puisque le langage du Coran et des textes islamiques (…) est l’arabe, cette langue doit être enseignée (…) de l’école primaire jusqu’à la fin du lycée ». Ces deux articles, ainsi, offrent une certaine reconnaissance du phénomène minoritaire - sans pour autant qu’il soit explicitement nommé [10]. Le fait est que la reconnaissance officielle des langues et des cultures régionales dans la Constitution (art. 15) [11] de ladite République islamique suscita dans un premier temps une certaine affirmation des identités « ethniques » au sens linguistique du terme [12] (l’expression aghaliyat ghomi désignant « minorité ethnique » en persan ou celle de gorooh ghomi désignant « groupe ethnique » [13]) et ouvrit - de manière néanmoins limitée notamment pour la langue kurde - la possibilité de publier des ouvrages dans d’autres langues que le persan consacré langue (zaban en persan) officielle de l’Etat iranien, par ailleurs garant de l’égalité des droits de ses diverses populations [14].

Le texte constitutionnel utilise en effet explicitement le terme « persan », simple translittération latinisée du terme farsi, une façon pour le nouvel Etat de montrer que le persan est la langue commune - la lingua franca [15] - de tous les locuteurs du pays quelles que soient leurs origines respectives. Le mot farsi proviendrait de la province du Fârs au centre du pays et désigne initialement une variété locale de l’actuel persan, dont le nom a été étendu depuis à l’ensemble de la langue en Iran. Les termes Fârs et Pars (« Perse ») proviendraient en fait du même mot, le « f » de Fârs et le « p » de Pars étant phonétiquement très proches. Mais comme le « p » existe en farsi et pas en arabe, il paraît probable que la prononciation Fârs soit une altération arabe de Pars et c’est la prononciation du « f » qui a fini par s’imposer aux Iraniens islamisés.

On touche avec la question de la langue à un sujet éminemment sensible de la stabilité de l’Etat iranien. Et il s’agit plus que jamais de géopolitique car comme le souligne à dessein Yves Lacoste : « Des rivalités de pouvoir (…) se développent également à l’intérieur de nombreux Etats dont les peuples, plus ou moins minoritaires, revendiquent soit leur autonomie, soit leur indépendance ». De ce point de vue, l’Iran contemporain n’échappe pas à la règle.

Si le persan (i.e. le farsi) est compris par l’immense majorité des Iraniens, les Persans en tant que tels forment moins de la moitié de la population du pays. La langue nationale est très largement pratiquée mais cette situation n’empêche pas de grandes disparités géographiques, puisque dans certaines régions, marquées par une forte identité ethno-culturelle (dans sa variable ethno-linguistique et/ou ethno-confessionnelle) et encore imparfaitement alphabétisée, la majorité de la population ne comprend pas le persan mais parle sa langue maternelle.

Si donc environ 51 % des Iraniens parlent le persan comme langue maternelle et 90 % « parlent » ou comprennent » la langue officielle, près de la moitié des Iraniens pratique, parallèlement ou non, diverses autres langues. Sans parler du fait que quelque 10 % des Iraniens ignorent même complètement le persan, soit, au moins 4 à 5 millions de locuteurs, ce qui est loin d’être négligeable. Certaines de ces autres langues sont certes des langues apparentées au persan et constituent des langues relevant du groupe iranien de la famille des langues indo-iraniennes [16]de la grande famille indo-européenne, à laquelle appartiennent les Kurdes (10 % à 12 %), suivis par les populations caspiennes des Gilakis et les Manzadaranais (autour de 7 %), les Lors (9 %) - dont la langue le lori est une langue iranienne assez proche du kurde - et les Baloutches (2 % à 3 %).

Mais d’autres sont des langues turques (dites altaïques) ou quelques rares langues chamito-sémitiques. Les Turcophones, principalement les Azéris (16 %), les Turkmènes (9 %) mais également les nomades Qachqaïs et Afchars, représenteraient près du quart du total, ce qui en fait le deuxième groupe linguistique d’Iran après le groupe iranien. Il ya également le groupe des populations sémitiques, à savoir les Arabes (3 %), mais aussi les Juifs et les Assyriens. Enfin il faut mentionner une communauté de Géorgiens et d’Arméniens.

Iran. Quelles revendications des minorités ethno-confessionnelles ?
Carte. Iran. Les minorités linguistiques
Carte. Jacques Leclerc, L’aménagement linguistique dans le monde, https://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/iran.htm
Leclerc/ulaval

Si la majorité des Iraniens parle donc le farsi, un quart des Iraniens parle une langue tout de même apparentée, car relevant de la branche « iranienne » de la famille linguistique dite « indo-iranienne », renvoyant encore plus largement à la grande famille indo-européenne [17]. C’est le cas entre autres des locuteurs des divers dialectes kurdes comme le kurde sorani (dialecte kurde central) et le kurde gorani (dialecte kurde oriental) tous deux issus d’une matrice linguistique kurde, elle-même dérivée de cette branche iranienne de la famille des langues indo-iraniennes, de même que le baloutchi, dialecte des Baloutches - laquelle branche « iranienne » se ramifie d’ailleurs encore aujourd’hui à l’extérieur de l’Iran, notamment en Afghanistan, et plus largement en Asie centrale. Ainsi, le persan est-il appelé dari en Afghanistan et tadjik (ou tajiki) [18] au Tadjikistan. Les Iraniens, les Afghans et les Tadjiks parlent donc persan et, si l’on veut préciser l’origine géographique. On parle alors de farsi (« persan » d’Iran), de dari et/ou de pachtou (« persan » d’Afghanistan) ou encore de tadjik (« persan » du Tadjikistan). Un Afghan parlant le persan dari et/ou pachtou, ainsi qu’un Tadjik parlant le persan tadjik comprennent aisément un Iranien parlant le farsi. Mais lorsqu’on emploie le terme général de « persan », c’est en ne faisant aucune allusion géographique à la langue [19].

Il faut signaler qu’un autre quart de la population iranienne parle une langue apparentée au groupe turc de la famille linguistique altaïque (turco-mongol) dont relèvent directement les dialectes azéri et turkmène, notamment parlés en Iran. Ces dialectes sont transcrits avec l’alphabet arabe en Iran, mais avec l’alphabet cyrillique en Azerbaïdjan et au Turkménistan, tous deux issus de l’ancienne Union soviétique (échelle de temps courts). En dépit de l’islamisation (échelle de temps long), de l’adoption de l’alphabet arabe pour transcrire le persan moderne et d’innombrables apports mutuels entre les mondes arabe et iranien, c’est avec le monde turcophone que l’Iran est le plus imbriqué. On parle d’ailleurs volontiers de monde « turco-iranien » pour désigner ces territoires allant de Samarkand à l’Anatolie, dominés d’abord par la culture et les Empires iraniens puis envahis par les Turco-Mongols. Du IXème siècle à la République islamique contemporaine, nombre de Shahs de Perse - comme la dynastie des Qadjars (1786-1925) - étaient en réalité turcophones, ce qui ne les empêcha pas de défendre jalousement l’Etat iranien contre l’Empire ottoman. Cet antagonisme géopolitique séculaire qui trouvait déjà sa traduction dans l’appartenance de la Turquie à l’OTAN depuis le 18 février 1952, s’est trouvé réactualisé depuis 2011 par les positionnements respectifs antagonistes des deux pays sur l’« affaire » syrienne - la Turquie soutenant les insurgés sunnites syriens et l’Iran le régime alaouite de Bachar Al-Assad.

Dans tout Etat constitué, une telle fragmentation ethno-linguistique est évidemment toujours porteuse de forces centrifuges. L’Iran n’échappe pas à ce risque latent avec l’expression récurrente de revendications identitaires émanant de ses minorités nationales. Plus précisément, la configuration ethnique du pays oppose, d’une part, le plateau central, habité par les Persans, d’autre part, les régions périphériques du territoire national où sont installées les minorités ethniques. Ce peuplement périphérique a aussi comme conséquence que les Azéris [20], les Kurdes, les Arabes, les Baloutches, les Turkmènes [21], notamment forment des populations transfrontalières disposant de liens culturels très forts avec des groupes apparentés installés dans les pays voisins. Les territoires périphériques situés aux frontières de l’Iran sont, de fait, peuplés de nombreuses minorités ethniques situées à l’interface de plusieurs Etats voisins (Turquie, Arménie, Azerbaïdjan, Turkménistan, Afghanistan, Pakistan, Irak, Arabie Saoudite, Emirats arabes unis). Certaines de ces frontières sont assez anciennement établies puisque celle avec l’ancien Empire ottoman, et donc la Turquie qui lui succède, fut fixée par le deuxième traité d’Erzerum en 1847, lequel consacra la souveraineté du Shah perse sur des tribus kurdes et arabes, et celle avec les Indes du Raj britannique, et donc l’Afghanistan et le Pakistan actuels, fut fixée par le colonisateur britannique en 1872. Or, les minorités et/ou groupes « ethniques » d’Iran semblent aujourd’hui revendiquer de plus en plus la reconnaissance de leurs droits culturels et une plus grande autonomie régionale. Depuis peu, ces revendications sont devenues plus virulentes sans être nécessairement violentes. Autrement dit, l’Iran connaît de sérieuses difficultés avec ses minorités « ethniques », qui se mobilisent de plus en plus violemment contre le pouvoir central. C’est le cas des Baloutches à l’Est avec l’émergence depuis 2005 d’un mouvement de guérilla dénommé le Joundallah (« Soldats d’Allah »), lequel a commis un certain nombre d’attentats contre les forces de sécurité iraniennes depuis le milieu des années 2000. C’est le cas également au Nord-Ouest du pays avec le renouveau d’un certain nationalisme azéri et l’apparition d’un nouveau groupe de guérilla kurde appelé le PJAK (« Parti pour une Vie Libre au Kurdistan »), ainsi qu’au Sud-Ouest avec l’effervescence des Arabophones du Khouzestan.


Encadré. Congrès des nationalités iraniennes pour un Etat fédéral

L’Iran appartient à toute la population iranienne, autrement dit à toutes les nationalités qui composent ce pays. Malheureusement, ce droit est, jusqu’à présent, nié à la majorité de la population. Connaissant l’injustice et l’oppression nationale dont les nationalités de ce pays ont été et sont toujours victimes, nous nous inclinons devant les sacrifices et les souffrances consentis par les fils et filles de ce pays dans leur lutte pour la liberté et la justice. Nous savons tous que la légitimité de tout pouvoir doit provenir de la volonté du peuple et dans un pays multinational comme l’Iran, une telle légitimité doit être basée sur la volonté des diverses nationalités qui composent ce pays ainsi que sur le respect de leurs droits. Etant donné qu’il serait illusoire de parler de la liberté, de la paix et du progrès en Iran sans la participation effective de toutes ces nationalités, dans l’administration des affaires du pays ainsi que dans celles des affaires intérieures de leurs régions et sans la création des conditions d’égalité de chance, nous considérons que l’établissement d’un gouvernement fédéral basé sur les critères ethnico géographiques est le seul mécanisme politique durable qui puisse garantir l’aspiration légitime de ces nationalités quant à l’exercice du droit à l’autodétermination dans le cadre d’un Iran libre, uni et démocratique. Dès lors, nous, soussignés, organisations appartenant aux diverses nationalités iraniennes réunies le 20 février 2005 à Londres, proclamons avoir créé un collectif intitulé : « Congrès des Nationalités Iraniennes pour un Iran fédéral ». Dans le cadre de ce congrès, nous nous sommes entendus sur les principes suivants comme étant les bases d’une coopération et d’une activité communes :

. La République islamique d’Iran est un régime totalitaire, antidémocratique violant les libertés et les droits démocratique des peuples de ce pays. Aussi, le renversement de ce régime constitue une condition nécessaire à l’établissement d’un système fédéral démocratique en Iran.

. Tout en exprimant notre profonde conviction quant au droit indéniable des peuples à l’autodétermination, conformément à la Déclaration universelle des droits de l’Homme et des accords et conventions internationaux pertinents, nous déclarons solennellement que nous sommes pour un système fédéral en Iran basé sur les critères ethniques et géographiques.

. Séparation totale de l’État et de la religion.

. Supprimer toute sorte de discrimination entre les hommes et les femmes et assurer une parfaite égalité entre eux dans les domaines politique, social, économique et culturel.

. Garantir la liberté de pensée, d’expression et d’association et assurer la promotion de l’égalité des droits pour tous les citoyens devant les lois.

. Garantir la justice économique et sociale et œuvrer pour l’amélioration de la qualité de vie pour tous les citoyens.

. Etablir des relations pacifiques avec tous les pays, basées sur le respect mutuel et le respect des accords et conventions internationaux tout en défendant la résolution des problèmes par les voies pacifiques et en respectant le droit international.

. Combattre le terrorisme et les armes de destruction massive dans la région et œuvrer pour une coopération internationale dans ces domaines.

Nous appelons toutes les personnalités et organisations politiques qui optent pour les principes susmentionnés, de se joindre à ce Congrès pour lutter ensemble à la réalisation de ces objectifs.

Front Uni du Baloutchistan d’Iran - Parti du Peuple Baloutche- Parti Démocratique du Kurdistan d’Iran - Parti de la Solidarité Démocratique d’Ahwaz - Mouvement Démocrate Fédéraliste d’Azerbaïdjan - Parti Komala du Kurdistan d’Iran - Organisation pour la Défense des Droits du peuple turkmène [22].


C. La question des minorités « confessionnelles »

(cont. I/VI)