Plusieurs centaines de volontaires serbes ont combattu ces dernières années au côté des séparatistes pro-russes du Donbass. Aujourd’hui, la mobilisation s’organise de nouveau, autour de Bratislav Živković, autoproclamé « chef des tchetniks ». Reportage dans cette nébuleuse de l’extrême-droite.
Par Marion Roussey
Bratislav Živković se prépare à partir d’un moment à l’autre dans le Donbass. Il a encore « quelques affaires à régler » chez lui, en Serbie, dit-il, mais il se tient prêt. Barbu, le crâne chauve, le presque quinquagénaire affiche un petit sourire immuable. Vêtu d’un gros pull, le regard doux, on a peine à l’imaginer avoir un long passé de combattant. Et pourtant.
Cet ancien membre de la 63e Brigade de parachutistes de l’armée serbe, a pris les commandes d’une unité de volontaires durant la guerre du Kosovo. « Pour défendre les intérêts du peuple serbe », explique-t-il. Quinze ans plus tard, au printemps 2014, il a rejoint la Crimée avec un petit groupe de volontaires armés. C’était quelques jours avant la tenue du référendum d’auto-détermination organisé par la Russie et jamais reconnu par la communauté internationale. De là, Bratislav Živković est parti avec ses hommes rejoindre les soldats et forces paramilitaires pro-russes à Louhansk.
Chef des « tchetniks »
Malgré la signature de l’accord de Minsk, censé mettre fin au conflit entre les séparatistes pro-russes soutenus par Moscou et les troupes ukrainiennes au prix de la reconnaissance d’un statut d’autonomie accordé à la région du Donbass, sur le terrain, le conflit armé a continué.
Bratislav Živković est resté vivre dans la ville d’Horlivka, située sur la ligne de démarcation entre la « République populaire de Donetsk » et le territoire contrôlé par les forces ukrainiennes. « Il y a beaucoup de Serbes là-bas. Après 2014, ils sont restés. Ils se sont mariés, ont fondé une famille. Ils y sont toujours », affirme celui qui se présente partout comme le « chef des tchetniks ». Durant la Seconde Guerre mondiale, les tchetniks étaient un groupe de combattants monarchistes serbes qui a d’abord résisté contre l’occupant nazi avant de collaborer pour éliminer les partisans communistes de Tito.
« Vous savez, ce territoire a autrefois été serbe. C’est une des raisons pour lesquelles on veut le défendre », poursuit Bratislav Živković, en évoquant la Slavo-Serbie, ce petit territoire aujourd’hui situé entre Donetsk et Lougansk qui avait été offert en 1753 par l’impératrice Elisabeth Ière de Russie à des combattants serbes qui devaient protéger l’Empire des tsars face aux Ottomans. Cet épisode historique est évoqué dans le célèbre roman Migrations de Miloš Crnjanski. La ville de Slavyanoserbsk se trouve depuis 2014 sur la ligne de front. L’autre raison avancée est la volonté d’en découdre avec les membres du bataillon Azov, cette unité militaire d’extrême-droite fondée en 2014 et qui rassemble des néonazis européens pro-ukrainiens, dont des Croates. Aujourd’hui, le bataillon Azov sert de prétexte à la Russie pour justifier sa prétendue « dénazification » de l’Ukraine.
Des volontaires venus de Serbie, du Monténégro et de RS
À en croire Bratislav Živković, de nombreux volontaires venus de Serbie, de Republika Srpska (RS) et du Monténégro seraient sur le départ, voire même, pour certains, déjà arrivés dans le Donbass pour combattre du côté des séparatistes pro-russes. Ces hommes seraient immédiatement incorporés dans les rangs de l’armée russe de la République populaire de Donetsk et de Louhansk et recevraient une solde de quelques centaines d’euros. Depuis 2014, les forces armées séparatistes se sont en effet structurées.
Selon Radio Slobodna Evropa, le 18 février, l’Union des volontaires du Donbass a publié sur la messagerie Telegram une invitation à s’engager afin de former un détachement de réserve dans le Donbass. Cette organisation réunit des Russes ainsi que des volontaires de Serbie et d’autres pays où vivent des Orthodoxes. Le même jour, les dirigeants séparatistes de Louhansk et de Donetsk ont émis un ordre de mobilisation générale des hommes âgés de 18 à 45 ans.
Les volontaires les plus tardifs ont dû modifier leur trajet après la décision des pays européens de suspendre leurs vols vers la Russie, mais la Serbie, qui refuse de s’aligner sur les sanctions occidentales, maintient toujours sa liaison. Deux vols d’Air Serbia décollent ainsi chaque jour de Belgrade vers Moscou. Depuis 2015, partir combattre dans une guerre étrangère est pourtant passible en Serbie de peines allant jusqu’à dix ans de prison. Une loi passée à l’origine pour dissuader les candidats au djihad de rejoindre la Syrie et l’Irak.
En 2018, le parquet a d’ailleurs ouvert une enquête contre Bratislav Živković, accusé d’avoir participé au conflit en Ukraine et d’avoir organisé le recrutement et le transport d’autres combattants. Mais l’enquête a été suspendue l’année suivante. Le chef autoproclamé des forces paramilitaires tchetniks peut donc circuler librement entre la Serbie et la Russie, à condition de prendre l’avion. Les pays situés entre la Serbie et l’Ukraine lui ont en effet interdit de transiter par leur territoire, à l’instar de la Roumanie qui l’a banni en 2017 pour soupçons d’espionnage au profit de Moscou.
L’extrême-droite serbe soutient le Kremlin contre l’Occident
Selon les estimations de l’ambassade d’Ukraine en Serbie, plus de 300 citoyens auraient quitté la Serbie pour combattre du côté pro-russe entre 2014 et 2018. 32 ont déjà été condamnés à des peines avec sursis. Parmi eux, douze sont membres de l’Unité continentale, un mouvement international d’extrême-droite fondé en 2014. Ses membres, très actifs sur les réseaux sociaux, appellent ouvertement à soutenir Moscou contre l’Otan et l’Union européenne. Leurs vidéos d’entraînements paramilitaires et de propagande russe sont suivies par près de 5000 personnes. Parmi ses membres figurent Viktor Lenta et Nikola Perović, deux anciens militaires franco-serbes ayant combattu côté pro-Russe dans le Donbass.
D’autres organisations d’extrême-droite en Serbie soutiennent ouvertement les séparatistes pro-russes dans l’est de l’Ukraine. Le 4 mars, un rassemblement à l’appel du groupe extrémiste Patrouille du peuple a réuni plus d’un millier de personnes à Belgrade pour exprimer soutien et solidarité au peuple russe. Ce groupe, connu pour ses actions violentes contre les réfugiés et sa glorification des criminels de guerre, condamne la « neutralité » du président serbe Aleksandar Vučić. Le groupe a partagé ces derniers jours sur les réseaux sociaux un message vidéo exhortant les citoyens serbes à soutenir les actions de la Russie en Ukraine et contre l’Occident.